En 2016, Fanny Claudon, lors de ses études au DSAA La Martinière à Lyon, nous propose son projet SCRIB, la machine graphologue. Il est intéressant d'analyser ce projet pour essayer d'imaginer dans quelles conditions il serait pertinent de l'utiliser lors d'un entretient thérapeutique. Nous analyserons ce projet grâce aux cinq images et à la phrase de présentation que Fanny Claudon fournit sur son site.
Le but de cet outil est, comme il l'est précisé dans le texte de présentation de cette étudiante, de créer un objet graphique, issu de l'analyse de la graphie de nos textes, qui représente notre personnalité. Et c'est ici qu'il est intéressant pour nous d'analyser cette production. Nous pouvons nous demander comment, et selon quels moyens, une production graphique peut représenter notre personnalité ?
Les différentes étapes de la traductionLe principe de cet outil nous parvient clairement. Dans un premier temps, il s'agit pour l'utilisateur d'écrire, grâce à une tablette graphique, avec sa propre graphie manuscrite sur un document vierge. Dans un second temps le logiciel va analyser ce document et l'écriture de l'usager ( la forme des lettres, le positionnement des lignes dans la page... ). Dans un troisième temps, il va naître de cette analyse une production graphique, formelle et abstraite, composée et imprimé par l'ordinateur.
Devant cet accumulation d'étapes peut naître une observation principale. Celle selon laquelle le processus qui sépare notre « réelle » personnalité et de sa représentation graphique est trop étendu pour que la création finale soit fidèle. En effet, il y a un nombre plutôt grand d'étapes de traduction au travers de cet outil, des étapes qui, d'autant plus, sont contestables.
La première étape est celle qui consiste à penser qu'une personnalité pourrait être transmissible par une graphie particulière. Cette idée est séduisante, et dans un premier abord logique. Elle a été probablement développée à partir d'une observation simple : Puisque les façons d'écrire les signes et les lettres sont différentes d'un individu à un autre, et quasiment jamais identiques, il a été émis l'hypothèse, par association d'idée, que la graphie pouvait nous donner des informations quant aux caractéristiques psychologiques propres à son auteur. Nous ne pouvons nier que quelques caractéristiques, par comparaison, sont en effet parlantes. Comme tout langage, l'écriture peut révéler un taux d'érudition, d'éducation et un milieu socio-culturel. Si nous observons que les traits sont dessinés avec aisance, régularité et assurance, il est possible d'affirmer que son auteur aura dans sa vie été beaucoup plus habitué à écrire que quelqu'un qui écrit avec hésitation, et irrégularité. Il est par exemple très facile de distinguer une écriture d'adulte et une écriture d'enfant. Cependant, il s'agit de faire attention et de ne pas pousser l'analyse de façon plus précise, car une caractéristique graphique peut avoir une pluralité de causes, et il est donc très difficile de systématiser un langage de la graphie. Par exemple, la cause d'un trait tremblant peut avoir une multitude de significations : l'hésitation, l'inexpérience, la maladie, les tremblements d'un train dans lequel est son auteur... Il est donc facile de remettre en cause la justesse de cette première étape.
La seconde étape de traduction est justement celle des conditions de l'écriture du texte. Si nous partons du principe que l'écriture révèle en effet la personnalité des individus, il s'agirait de faire en sorte que l'auteur soit en bonne conditions de transmettre sa personnalité au moment précis où il écrit. Y a-t'il du bruit autour de lui ? Est-il seul ? Est-ce que des gens le bousculent pendant qu'il écrit ? Cette étape de traduction est intéressante parce qu'elle nous rappelle que jamais un individu n'écrira de la même façon, et qu'un très grand nombre de paramètres qui fluctue avec le temps ( psychologiques, physiques, environnementaux... ) va influencer cette écriture. Cette caractéristique d'hypersensibilité et d’hyper-réactivité à des paramètres intérieurs et extérieurs nous permet de remettre en cause, dans le cas où la graphie peut révéler la personnalité, la notion même de personnalité. Quelle est-elle ? Puisqu'elle n'a pas de valeur temporelle ( elle change seconde après seconde ) ni de valeur spatiale ( elle n'est pas directement matérialisable ), existe-t'elle vraiment ? Pour ne pas laisser en suspend cette question complexe, il faut poser la direction de réponse suivante : Une personnalité, c'est-à-dire une combinaison de caractéristiques émotionnelles et comportementales, n'est définissable que grâce à un suivi personnalisé qui s'étale sur une longue période temporelle. La définition d'une personnalité sera par essence complexe car dépendante d'une multitude de conditions.
La troisième étape de traduction invoque le même problème que la précédente. Lorsque l'auteur a rédigé son texte, l'ordinateur va en repérer ses caractéristiques graphiques. Si nous cherchons à comprendre ce que nous disent les images de présentation du projet, il va repérer l'inclinaison des lettres, la forme globale du texte, les formes récurrentes, la chasse, la vitesse d'écriture... Comme évoqué lors de l'étape de traduction précédente, le problème se résume à être celui de l'utilisation d'un système commun aux différentes individualités, qui n'écriront jamais dans les mêmes conditions, dans le même état d'esprit... Mais ici, cette idée devient symptomatique car manifeste dans l'outil qui est utilisé pour traduire l'écriture manuscrite. Il s'agit d'un ordinateur, c'est-à-dire un outil qui ne fonctionne qu'à travers des programmes préétablis. On se demande encore une fois si il n'aurait pas été préférable que cette étape soit réalisée par un humain, ou encore mieux un professionnel de la santé, qui a la capacité de prendre en considération des paramètres infiniment plus subtiles autour de l'écriture même.
La quatrième étape consiste en la traduction graphique des éléments analysés lors de l'étape précédente. L'image ci-dessus nous montre qu'un vocabulaire graphique a été préconçu et associé à toutes les caractéristiques relevées. Ce vocabulaire a été en grande partie élaboré grâce au dessin abstrait des différentes caractéristiques typographique. La vitesse d'écriture, la chasse des caractères ainsi que leur inclinaison font partie des caractéristiques les plus brillamment représentées. Cependant, certains paramètres du processus restent flous, alors qu'ils constituent une part importante de la création visuelle. Par exemple, nous pouvons nous demander comment est-ce que ces différents éléments du vocabulaire graphique sont disposés dans la composition finale. De façon aléatoire ? Régulière ? Programmée ? Étant donné la teneur scolaire du projet, nous pouvons penser que les compositions ont été pensées pour une certaine harmonie esthétique. Si une personnalité se définit en relation avec celle des autres, une composition strictement commune à chacune des productions aurait pu favoriser la comparaison. À propos des choix chromatiques, la bichromie est plutôt bienvenue. Elle permet réduction du langage à sa stricte forme, une simplicité d'impression en quantité, tout en proposant une identité forte et singulière.
La cinquième étape de traduction consiste en la lecture des productions finales. Que nous disent-elles ? Est-ce que le lexique des formes graphiques est disponible pour le réel usager ou est-il condamné à devoir interpréter seul son poster ? Si le lexique des formes est disponible pour l'usager, il n'y a aucune raison que la production finale soit un poster graphique. En effet, il vaut mieux que l'ordinateur donne directement les caractéristiques d'une personnalité sous forme textuelle si on veut que la machine propose une traduction fidèle de ce qu'est notre personnalité, sans ajouter de complexité lié à l'interprétation graphique. Nous partirons donc du principe selon lequel celui qui a en main le poster final n'a pas accès au lexique. En partant de ce principe, cette étape de traduction établi une un degré d'inexactitude supplémentaire si nous souhaitons y lire notre personnalité, car nous savons que l'interprétation d'une création, d'autant plus abstraite, va être extrêmement différente d'un individu à un autre.
Cette dernière étape est la cerise sur le gâteau d'un processus destiné à traduire la traduction d'une traduction d'une traduction d'une traduction d'une traduction. C'est une traduction à la puissance 5. On peut facilement imaginer que l'intention de représenter une personnalité à travers la graphie manuscrite est mise à mal.
Cependant, je nous propose de lire ce projet autrement. Peut-être qu'il faut lire le mot graphologie selon son étymologie, ce qui réduirait le projet à être une étude de la graphie sans forcément en faire une analogie à la personnalité. Et sous ce principe, ce projet en effet fonctionne, il rend compte d'une identité graphique, propre à tout ses utilisateurs.
Également, même si c'est contestable éthiquement, ce procédé peut être très intéressant à utiliser lors d'une entretien thérapeutique. En effet, si le patient utilise cette machine et qu'il pense que le poster final représente à la perfection sa personnalité, il est intéressant, grâce à l'ouverture d'interprétation que propose la dernière étape du processus, de voir ce qu'il lit dans ce visuel. Ce procédé serait différent de celui du test de Rorschach dans le caractère personnel de la création de la machine Scrib. Le patient pourrait se sentir plus impliqué dans les informations qu'il transmet.