Mardi 15 Novembre 2017
HouseofCards,L'architecturedelapensée

Il n'a pas encore été fait de véritable mise à jour de mon projet sur ce site, mais sachez que le jeu House of Cards se révèle très intéressant dans la teneur qu'il peut donner à un projet de médiation thérapeuthique.

House of Cards, tout du moins sa première version, est un jeu de construction développé par Ray et Charles Eames en 1952. Les kits, disponible en trois tailles ( petite, moyenne et grande ), se composent d'une série de cartes sur lesquelles sont imprimées des photographies. Ces cartes ont chacune des encoches qui leur permettent s'imbriquer pour créer des châteaux de cartes. Les deux principes intéressants sur lesquels reposent ces cartes sont la variété des contenus picturaux proposées et les centaines de possibilités de constructions que proposent ces cartes. La question qu'on peut se poser est celle du lien entre ces deux principes. Pourquoi leur association est nécessaire alors que les deux procédés pourraient, seuls, déjà fonctionner ?

Les qualités picturales, les qualités spatiales

Le contenu pictural de l'ensemble des cartes est intéressant à analyser. On observe qu'ils ne sont pas choisis au hasard car chaque kits ( petits, moyens et grands ), ont des thèmes d'images différents.

Le kit original, celui de petite taille, contient deux paquets de cartes. Le premier est une série de photos - Le Picture Deck - prises par Charles Eames lui-même, qui « disent des choses sensées à propos des objets de tout les jours dont nous ne voyons plus la beauté ». Ces photos capturent en effet des objets issus de la vie quotidienne, un par carte. Il est facile d'affirmer que la plupart de ces photos ont été prises pour les qualités esthétiques et graphiques de leurs objets et de leur disposition dans l'espace. Le second paquet de carte constitue une série de motifs et de textures - Le Pattern Deck - prises sur des tissus, de sols ou des murs.

Le kit de taille moyenne a le même contenu que celui qui est de petite taille.

Le kit de cartes de grande taille est intéressant à analyser. Il s'agit de créations visuelles issues du domaine des sciences et des arts.

On peut relever le caractère strictement culturel du contenu des photographies. Tout ce qui est sélectionné ne représente jamais directement de la nature. Ce ne sont pas des animaux, des végétaux ou des paysages qui nous sont montrés, mais des créations strictement humaines. La question peut se poser lorsqu'on observe la carte sur laquelle est représenté des flocons de neige. On voit qu'il ne s'agit pas d'un visuel qui montre directement la nature, car le réalisme de la représentation des flocons n'est pas recherché, ce qui importe est le caractère esthétique, géométrique, comparatif et scientifique de cette carte. Elle ne représente donc pas un flocon, mais l'idée de l'étude des flocons.

Toutes les autres cartes fonctionnent selon ce principe. Elles vont pas représenter directement des objets, mais des idées, et plus précisément des disciplines ou des savoirs faire humains. L'étude de la carte de l’œuf est également intéressante. Ce n'est pas l’œuf qui est le centre du propos de la carte, mais sa méthode de représentation elle-même. On va chercher à nous montrer le principe du demi-ton en reprographie, c'est à dire la méthode qui consiste à représenter une vaste palette de niveau de gris à partir d'une impression monochrome. L’œuf n'est alors utilisé que grâce à ses qualités esthétiques, puisque sa coque est claire et unie et propose une visualisation simple de son volume élémentaire.

Grâce à ce principe, une grande palette de disciplines culturelles sont présentés : l'architecture, la calligraphie, la typographie, la sculpture, la géométrie, la photographie, la biologie, la chimie...

Également, au verso de ces cartes de grandes tailles se trouvent des aplats de couleur unis.

Parallèlement, les encoches positionnées à des endroits stratégiques sur la carte nous permettent de faire des bâtis élaborés. Nous pouvons grâce à elles construire des murs, des colonnes cubiques ou à base hexagonale, des arches, autant d'éléments de base qui nous permettent d'établir des architectures complexes. Ce jeu résout alors un problème antédiluvien, celui qui consiste à créer un château de cartes qui tient enfin.

Ce qui est intéressant ici, c'est la modularité qu'un seul modèle de carte permet. Il n'y a pas plusieurs gabarits. Si ça avait été le cas, la construction aurait été moins ouverte et créative, car chacun des différents gabarits auraient été pour le joueur destinés à des fonctions particulières que les autres n'auraient pas pu effectuer. Ici, avec un seul modèle de carte, la créativité est stimulée pour inventer une fonction particulière à chacune des cartes dans la construction.

L'enjeu du jeu

Dès à présent, il s'agit de voir pourquoi ces deux principes ( celle de la variété picturale et de la construction ), ont été associés et quel est le véritable enjeu de sa création.

Une première hypothèse consiste à penser que l'enjeu de cette association est qu'elle permet de donner des qualités esthétiques aux constructions volumiques finales. En effet, celle-ci sont hautes en couleur et en textures grâce à la diversité des images imprimées sur les cartes. Les qualités « décoratives » qu'elles peuvent proposer sont assumées par Ray and Charles Eames lorsqu'ils nous proposent leur « Pattern Deck ». Souvent, ces cartes de motifs peuvent être assimilées à des papiers peints. Mis en volumes, les constructions finales ressemblent à des maquettes de maison dont on aurait fait la décoration.

Bien entendu, cette hypothèse n'est pas la plus valable. Il est pertinent d'affirmer que l'objectif principal de ces cartes n'est pas esthétique, car si nous étions en possession d'un seul deck, les cartes, uniques, ne permettraient que des compositions graphiques très réduites.

Au regard de l'objectif que nous nous sommes donnés, il est intéressante d'affirmer une seconde hypothèse selon laquelle c'est le lien créé entre les différentes cartes qui constitue l'essence du projet. En effet, nous pourrions partir de l'idée qui nous dit que le fait d'associer une première idée et une seconde ne produit non pas deux idées, mais trois, la troisième étant issue du produit des deux autres. Le sens que peut produire les constructions finales pourraient être d'une richesse infinie. Par exemple, associer les ciseaux de couture à l'image de la chaussure produirait l'idée de la cordonnerie. Associer ces mêmes ciseaux au peigne produirait cependant l'idée de la coupe de cheveux.

Si la construction finale est un ensemble de liens et de réseaux d'idées, elle peut apparaître comme une image de la construction d'une pensée. En effet, une pensée a, tout comme une construction architecturale, des fondations, une ossature, des appuis... Et si le joueur a fait l'effort intellectuel de construire une histoire à partir des éléments picturaux du jeu, la construction finale sera une matérialisation de sa pensée, d'une sensation complexe, d'une émotion.

À partir de cette hypothèse, plusieurs caractéristiques du projet sont intéressantes. La première est, comme nous l'avons déjà évoqué, la possibilité de définir la valeur d'une carte en fonction de son positionnement dans la structure finale. Si elle se situe près du support sur lequel la structure repose et qu'elle soutient une grande quantité d'autres cartes, elle peut s'apparenter à une idée forte, importante, qui est à la base de pleins d'autres. Au contraire une idée qui se trouve au sommet de la structure peut être plus futile, récente, et supprimable à souhait.

Également, le volume que propose ces construction de cartes induit que la vision que nous en auront sera différent en fonction de notre point de vue. En effet, il y aura forcément des cartes qui seront cachées, soit parce que nous avons décidé de les positionner face cachée, soit parce qu'elles sont à l'arrière de la structure. Ces caractéristiques matérialisent l'idée selon laquelle un problème d'apparence insoluble peut se résoudre en changeant de point de vue, en ne cherchant pas à voir mieux, mais à voir autrement.

Enfin, le caractère très facilement manipulable et léger des cartes induit non pas la fragilité de la structure, mais la possibilité de la modifier à souhait. La pensée a de différent avec l'architecture réelle que sa structure n'est pas aussi pérenne et n'est pas destinée à durer des dizaines voire des centaines d'années. Au contraire, la structure de la pensée est plus ouverte, favorable aux modifications, et c'est ce en quoi l'utilisation de la carte en tant que médium est intéressant.

La lecture qui a été faite de ce Jeu de Ray & Charles Eames peut être vous vous en doutez, primordiale pour la suite du projet.

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