Les projets « Tools for Therapy » et « Conversation pieces », de Nicolette Bodewes, sont intéressants à analyser pour deux raisons. Premièrement, ils s'inscrivent directement dans l'objectif que nous nous sommes donné, qui consiste à dire l'indicible. Ensuite, il s'agit également de projets de fin d'études, et il est amusant de voir les démarches parallèles qui se font. La designer a décidé avec ce projet de créer des outils pour permettre aux patients, lors des entretiens thérapeutiques, de s'exprimer en n'utilisant plus les mots, mais avec des objets et des dessins. Mais au vu de ces objets, il est pertinent de se demander quels sont les méthodes précises utilisées pour faire thérapie et si les outils de Nicolette Bodewes sont réellement bénéfiques pour le patient. Nous analyserons ces objets grâce aux photos et à la vidéo que cette designer nous propose sur son site.
Tools for Therapy est le premier outil que Nicolette Bodewes nous propose. Il s'agit d'un support solide et rond, d'un diamètre d'environ 0,5m, sur lequel une feuille de papier, ronde également, est disposée. Il est mis ensuite à disposition du psychologue et de son patient des crayons ainsi que des formes élémentaires en volume. Selon un dispositif mis en place par le psychologue, le patient est ensuite amené à manipuler tout ses outils pour exprimer ses sensations, ses émotions.
A propos de cet outil, il y a deux questions principales à se poser : Pourquoi la feuille a-t-elle sur un support ? Et pourquoi le dispositif est rond ? Le fait même que nous nous posions cette question nous donne déjà un élément de réponse. Ces deux caractéristiques en effet nous interrogent. Nous ne sommes pas habitués à ce type de dispositif. Dans le cadre d'une thérapie, il est possible d'imaginer qu'il peut poser problème car il ne propose pas un environnement familier, dans lequel nous nous sentons bien, et dans lequel il est facile de s'exprimer. Peut-être même que ce dispositif circulaire et sur-élevé nous donne l'impression qu'il va falloir nous mettre en scène, car une analogie formelle peut être faite entre ce dispositif et un amphithéâtre romain ou un cirque par exemple par exemple, voire pire, un théâtre anatomique. Dans le meilleur des cas, le patient se sentira au centre des regards, comme mis à l'épreuve. Dans le pire des cas, il se sentira comme une bête de foire. Cependant, afin d'être sûr de cette hypothèse, il s'agirait de savoir si les lieux auxquels nous sommes habitués sont en effet les plus propices à l'expression.
Si Nicolette Bodewes a décidé de disposer un support et non de poser la feuille directement sur la table, ce peut-être par nécessité technique. En effet, nous observons dans la vidéo qu'un cercle de plastique est emboîté sur le support afin que la feuille ne glisse pas. Cependant, il s'agit de savoir si ce principe est utile étant la simplicité des tâches demandées, c'est à dire disposer sur une feuille des formes cubiques ainsi que dessiner sur cette feuille. Cette question reste en suspend.
La forme de la feuille peut s'expliquer grâce à l'horizontalité de la discussion qu'elle permet. En effet, elle n'implique pas de hiérarchie entre le patient et le thérapeute. Ils sont amenés à agir sur la feuille à égalité, comme si ils étaient autour d'une table ronde. Également, même si ce n'est pas le cas pour tout les exercices qui sont présentés dans la vidéo, la forme de la feuille peut-être utilisée à bon escient. Lors du second exercice présenté, il est en effet dessiné des cercles concentriques dans lesquels le patient peut disposer des formes et écrire des mots en fonction de leur importance ou de leur distance par rapport à un centre. Il s'agit en réalité de savoir si c'est seulement à partir de cet exercice que la forme circulaire a été choisie ou si c'est cette forme qui a engendré le jeu. Dans ces deux cas, la forme circulaire n'est pas absolument pertinente.
Au delà de ce support et de cette feuille circulaire, il nous semble que le système de formes que nous propose Nicolette Bodewes est assez pertinent. Leur forme élémentaire et leur couleur blanche permet au thérapeute ou au patient de leur donner une signification très variée. Soit il peut s'agir de personnages, soit de de sentiments, ou alors de lieux. La seule caractéristique porteuse de sens sont les rapports de tailles entre les différents éléments. Il peut être intéressant de voir quels éléments le patient choisit pour connoter tel personnage ou telle situation, et d'analyser les rapports de forces ou d'éloignements qui sont représentés.
À propos d'analyse, il est fourni au thérapeute avec ce kit un cahier. Nous ne savons pas exactement de quoi il s'agit, mais il nous semble qu'il s'agit uniquement d'un livret qui permet au thérapeute de prendre des notes. Ceci peut poser problème, dans le sens où, puisque ce cahier de prise de notes est visible, le patient va se sentir jugé, analysé, et cette fois-ci, il y aura vraiment une hiérarchie entre les deux acteurs. Ce livret aurait été, il nous semble, beaucoup plus utile si il listait des exercices particuliers à proposer à son patient, ou encore si ce livret avait permis de prendre des notes au thérapeute mais également au patient.
En définitive, cette proposition pose réellement la question de l'environnement dans lequel elle place le patient. Plusieurs éléments peuvent ne pas le mettre dans une situation confortable, et donc, ne pas favoriser la conversation.
Conversation PiecesCet autre partie du projet, également utilisé dans le cadre d'une thérapie, vise à amorcer des conversations grâce à 12 objets. Ces objets présentés dans une boite, proposent des formes, des matières et des couleurs totalement différentes. De la même façon que le projet précédent, il s'agit de se demander si cette création sert réellement la thérapie ou non.
Contraiement à l'autre partie du projet, il nous semble que ce dispositif-ci met tout en œuvre pour que le patient et le thérapeute soient sur un même pied d'égalité. Ils manipulent les mêmes objets, en même temps et un réel échange peut se faire entre eux.
Maintenant, est-ce que ces formes abstraites aident réellement à la conversation ? Pour le savoir, il s'agirait de le tester en vrai, mais d'abord, émettons quelques hypothèses. Dans un premier temps, nous pouvons nous demander à quel moment de la rencontre interviennent les objets. En effet, est-ce que ce sont eux qui amorcent la conversation ? Sont-ils au centre de la conversation ou alors viennent-ils illustrer une conversation entamée auparavant ? Cette interrogation nous permet de distinguer deux types d'outils : les outils projectifs, comme le sont les tests de Rorschach par exemple, qui vont permettre à un usager de se projeter dans un discours qui révèlera un ou des éléments propres à son caractère, ou les outils illustratifs qui vont permettre à un usager d'enrichir un discours qu'il a déjà amorcé auparavant. Dans le cas des Conversation Pieces, Nous ne savons pas où et quand les objets interviennent.
Quant à la forme des objets, la seconde question que nous pouvons nous poser est la suivante : Pourquoi ces formes particulières ont été sélectionnées en dépit d'autres ? Est-ce que d'autres formes et d'autres matériaux auraient ils pu être aussi efficaces ? Il nous semble que oui, tant que la forme reste abstraite et que le matériaux reste intéressant. Cependant dans ce cas, tout peut faire figure d'outil de médiation, et l'intervention d'un designer n'est plus aussi pertinente.
Suite à quelques recherches, il se trouve que Nicolette Bodewes s'est basée sur le principe des archétypes de Jung. Ce psychanalyste a développé dans la premère partie du 20e siècle l'idée selon laquelle tous les humains possèdent un inconscient collectif, c'est à dire les mêmes références à des figures archétypales qui sont plus ou moins importantes en chacun d'entre nous. Si Nicolette Bodewes s'est effectivement appuyée sur ce concept pour développer ses objets, sa réflexion initiale est cohérente, car si nous sommes tous régis par les mêmes fondements, il est possible de nous faire réagir par les mêmes stimuli qui font références à ces fondements. Mais si nous partons de ce principe, nous pouvons nous poser la question de la justesse du designer. Est-ce que ces formes réussissent à transmettre et à évoquer les archétypes de Jung ? Un problème se pose également si Nicolette Bodewes fait référence à Jung. Elle s'éloigne de l'idée selon laquelle chaque patient a son individualité, et donc, ses propres codes, et son propre langage.
Les véritables enjeux du projetAu delà de toutes ces analyses, nous pouvons nous demander quel est le réel dessein de Nicolette Bodewes. Pour se faire, il faut porter notre attention sur la façon dont est présenté le projet.
Par exemple, tout ces outils sont fournis dans des boites, si ce ne sont des écrins, qui ont, au delà de leur fonction pratique, la qualité de mettre particulièrement en valeur chacune des créations. Les objets sont présentés comme si il s'agissait de bijoux, de fabrications artisanales hors de prix, ou même d’œuvre d'art. A partir de cette observation, quel usager lambda oserait s'en servir et être à l'aise avec ? De plus, dans la mise en scène de la vidéo, tout ces objets sont manipulés avec précaution, dans un environnement blanc, épuré, aseptisé. Toutes ces caractéristiques sont celles d’œuvres d'art présentés dans un musée, mais pas d'objets thérapeutiques à utiliser dans un milieu hospitalier ou médial. Nous pouvons alors affirmer que les intentions de Nicolette Bodewes sont très esthétiques, au détriment du concept de base qui visait à aider les acteurs du milieu de la santé à améliorer leur service.
Au delà de cette critique, le projet de Nicolette Bodewes nous aura aidé par ses ambitions à découvrir certains concepts liés aux outils de médiations lors d'entretiens individuels. Nous avons notamment appris que l'environnement est un élément très important afin de développer la confiance et le confort de l'usager pour lui permettre de parler, et nous avons découvert qu'un même outil peut avoir plusieurs usages en fonction de la façon dont il est introduit à l'usager.