J'entre dans la salle polyvalente du Collège du Parc à Illkirch. Elle est grande, relativement lumineuse et une centaine de chaises en rang sont tournés vers la plate forme qui fait office de scène. Les baies vitrées de cette salle donnent sur la cour de récréation, et les enfant y jouent encore, on entend leur cris.
C'est le proviseur de l'école qui nous a amené ici, une journaliste, une apprentie sage-femme et moi-même. Il semble fier de l’événement qui va débuter dans quelques minutes. Comment une intervention à propos de la sexualité dans un petit collège peut-elle être autant attendue ?
« Vous allez voir, nous dit le proviseur, il a du bagout ».
À peine nous sommes nous assis contre les murs latéraux de la salle qu'une horde d'élève entrent. Ce sont les classes de troisième de l'établissement. Il y a autant de filles que de garçons. Ils sont agités et curieux. Les uns se font timides, les autres extravertis. Il y a du brouhaha. S'asseoir leur prend du temps.
Les minutes passent, l'intervenant tant attendu n'arrive pas. Ça ne fait qu'amplifier son mythe. Les élèves se posent beaucoup de questions entre eux. Cet événement semble très particulier. Des rumeurs enflent à propos du personnage. Est-il vieux ? Croupissant ? Chauve ?
Pendant cette attente, des professeurs et des élèves s'étonnent de nous voir dans leur collège, et nous demande qui nous sommes. La présence de la sage-femme et de la journaliste est bienvenue. La mienne est moins compréhensible. Que vient faire un designer ici ? Un designer, ça ne fait pas des objets ? Pourquoi venir à ce cours d'éducation sexuelle ? Je leur explique mon travail. Ils semblent comprendre.
Enfin ! Il est là. Israël Nisand. On l'applaudit. Il porte un costume et une cravate, il a les cheveux plaqués en arrière. Il est imposant. Il est présenté par un directeur toujours aussi fier. Que va t'il se passer quand il va prendre la parole ? Le ciel et la terre vont-ils s'arrêter de tourner ?
Non, la parole est prise de manière très naturelle, confiante. Il se met debout devant nous et nous raconte comment il s'est perdu dans le brouillard en venant ici. Il nous semble très sympathique et souriant, malgré son accoutrement austère. Israël Nisand nous en a dit déjà beaucoup sur son personnage, il est très aimable mais très sérieux. Les bases sont posées, il commence son discours.
En quelque sorte, il commence par énoncer les règles. Il dit à son assemblée qu'il sait que c'est difficile de parler de sexualité à ses camarades ou à ses parents, et que c'est pour ça qu'il est ici. Attention cependant, Il ne va pas parler DES sexualités, mais de LA sexualité en générale, et qu'il n'y a donc aucune raison de dévoiler la sienne, que la confidentialité est un droit fondamental.
Ensuite, il nous donne le plan de ce dont il va parler. Son exposé est clair. Il sait déjà ce qu'il va dire. Son plan est découpé en 7 parties, allant de la masturbation, jusqu'aux violences sexuelles en passant par l'homosexualité. Grâce à son plan, on sait ce que le professeur Nisand va faire durant son intervention. Il va chercher à répondre aux croyances fausses que nous avons sur la sexualité, et à en donner les principales informations préventives.
C'est ainsi que démarre son exposé.
Afin d'exiger le silence et l'interruption des rires trop expressifs, il reprend au début de son intervention quelques élèves. L'un est même convié à changer de place. La recette marche. Sans être pétrifiés, les élèves poursuivent la séance dans un silence raisonnable.
C'est alors que peut commencer la démonstration de l'art oratoire du professeur. Il parle de façon très adaptée. Son discours est rythmé. On alterne entre les conseils et les anecdotes. Les blagues et les textes législatif. Tout nous semble fluide.
De plus, on ne peut que remarquer la précision du discours d'Israël. Quelquefois, il était plutôt détaillé et complexe, et faisait référence à des détails psychologiques, biologiques ou culturels qu'il ne m'aurait naturellement pas semblé qu'un enfant de 15 ans puisse comprendre, comme l'importance de l'inconscient dans la formation de la sexualité ou le culte de la virginité. Mais tout coulait de source. J'ai bu ses paroles. J'ai appris beaucoup de choses également à propos de la sexualité.
Une seule idée est resté au travers de ma gorge. Celle qui visait à distinguer les garçons des filles en ce qui concerne les violences conjugales, le consentement et le viol. Je comprends bien la légitimité de dire que ce sont souvent les garçons coupables et les filles victimes, mais sans en comprendre la nécessité. Est-ce que ça changerait quelque chose si on parlait de violence conjugale indifféremment du genre ?
Puis à la fin de l'intervention, nous passons à la boîte à questions. Elle a été remplie par les élèves auparavant, en cours de SVT. Ce principe a sûrement été créé pour que les adolescents puissent poser leur questions anonymement. Les questions concernaient pour la plupart l'IVG, je pensais que c'était parce qu'on avait briefé les élèves à propos de la fonction de gynécologue en chef d'Israël Nisand, mais il m'a révélé plus tard que c'était sûrement également parce qu'il y a eu plusieurs cas d'IVG dans le collège.
L'intervention est finie, les enfants sortent rapidement, sans expressions particulières à propos de ce qu'il s'est passé, et j'essaie d'approcher comme je peux le très occupé professeur. Je ne sais presque pas quoi lui demander, il a répondu à toutes mes questions lors de son intervention. Mais lorsque je m’assois face à lui pour lui parler, malgré mes balbutiements pour l'aborder, il rend la discussion fluide et agréable et j'apprends beaucoup de choses de sa démarche.
Dans un premier temps, il me révèle les très grandes difficultés à mettre en place ce genre d'interventions. Premièrement parce que le temps qui lui est accordé est beaucoup trop court, et qu'il faudrait une vingtaine d'heures pour bien mener des ateliers à propos de la sexualité. Ici, il réduit son discours au stricte minimum, ce qui peut l'appauvrir et amener à prendre des raccourcis handicapants. Mais ce qu'il regrette le plus, c'est qu'il n'y ai pas de dialogue, pas d'échange entre lui-même et les enfants, ce format ne le permet absolument pas.
À propos du manque de temps À propos de l'âge À propos de l'intimité À propos des démonstrations en classeEnsuite, il évoque le problème que la majorité de ceux qui font les interventions sont des bénévoles, parce que les institutions, malgré l'obligation de l'état, ne veulent pas débourser d'argent pour proposer l'éducation sexuelle en classe. De plus, les professeurs ne sont pas formés pour délivrés ces informations, il y a aussi un manque ici.
À propos du manque d'argentIl me dit que si les institutions scolaires ont peur de mener des projets autour de la sexualité avec leurs élèves, c'est parce qu'ils craignent les représailles des parents conservateurs. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'éducation sexuelle n'est délivrée qu'en classe de troisième, c'est parce qu'enseigner ces informations plus tôt est moins accepté dans notre société, alors qu'elle serait tout à fait à propos.
À propos des plaintesIsraël Nisand nous dit qu'il est pressé. Il commence à s'habiller et, dans sa simplicité, nous propose de nous ramener sur Strasbourg dans sa voiture. Malheureusement, ma destination était sur Illkirch, à deux pas du collège. Je m'en veux de ne pas avoir menti pour lui parler plus.