Lorsqu'il s'agit d'éducation sexuelle et de tabou, ce programme télévisée on ne peux plus à propos. Pubertet !, une émission d'éducation sexuelle norvégienne destinée aux enfant de 8-12 ans, a pris le parti, pour leur transmettre les informations fondamentales à propos de la sexualité, de tout leur montrer, tout. Des corps nus, de la peau, des poils, des boutons, des odeurs, du pus, du sang mentruel, du sperme, des seins, des pénis, des vagins, de personnes de toutes les tranches d'âges, d'adultes, d'adolescents, d'enfants. « C'est une honte, me direz vous, pourquoi décidez-vous de mettre les secrets de la nature et du corps humain à disposition des enfants ? Tout allait tellement bien avant ! » Transgression, régression ou maturité ? Cet article est fait pour vous.
La série, diffusée il y a un an, est composée de 8 épisodes, et comme son nom l'indique, elle utilise comme fil rouge la puberté. Elle va expliquer aux enfants prépubères en quoi elle consiste, comment elle se manifeste et pourquoi elle se manifeste. Et ce dès le premier épisode nommé : Pubertet : How does it start ?. Ensuite, chacun des épisodes, dans l'ordre, va nous parler des seins, du pénis, des poils, de la voix changeante, du vagin et des menstruations, des boutons d'acnée, et va conclure en amorçant sur la sexualité adulte.
Au commencement de la première vidéo et de toutes les suivantes, un panneau d'avertissement. Un titre en grosses lettres rouges, un texte blanc aux empattements pointus. Ça a l'air sérieux.
Mais non, le ton de la phrase est plutôt désinvolte. Il y est dit « La série puberté de la chaine Newton va commencer. C'est normal pour certains parents de se sentir gênés. Vous avez été prévenus. ». Tiens, n'avons nous pas déjà entrevus à plusieurs reprises cette problématique d'intimité dans la relation parent-enfant lorsqu'il s'agit de découvrir des choses sur la sexualité ?
Cet avertissement est intéressant dans le sens où il soumet l'idée que le parent peut être gêné par ce qu'il verra, alors que l'enfant non. Et c'est tout à fait sensé si on admet que le parent est exposé à des valeurs et à ses mœurs puritaines depuis bien plus longtemps et meut par l'envie de protéger ses enfants à toutes attaques « obscènes ».
Cet avertissement et sa dernière phrase qui prouve que le contenu n'est pas très contractuel ni officiel, transmet un message fort derrière son ton un peu parodique : il ne faut pas s'offusquer prématurément par principe devant ce qu'on va voir, mais d'abord analyser ce qui y est transmis et la façon dont c'est transmis avant de se laisser emporter par ses principes antédiluviens.
Un ton lumineuxNous y voilà, au cœur de la vidéo. Et dès le premier plan, beaucoup d'indices nous renseignent sur le ton qu'elle va adopter.
Nous nous trouvons dans un vestiaire, peut-être de gymnase ou de piscine, au portes très colorées, avec des couleurs pastels, peut-être un peu synthétique, mais qui est quoi qu'il en soit un lieu très représentatif de la découverte secrète du corps de l'autre.
Dans ces vestiaires, des figurants, de tout âges, en train de se déchausser, de s'habiller, d'utiliser les vestiaires normalement. Devant nous, la présentatrice. Elle s'adresse directement à nous. Très souriante et enjouée, qui incite à la confiance, et qui est prête à endosser son rôle d'éducateur qui n'a peur de rien.
Tout au long de la série, les vidéos vont être accentués de petites touches d'humour, tantôt provocateur, tantôt dégoûtant. Et on va l'utiliser pour que l'humour soit associé à la sexualité, pour que la sexualité devienne quelque chose de ludique, léger et naturel, contrairement à une tradition qui veut que la sexualité soit un sujet lourd, sérieux et associé au vice ( je pense notamment à toute une tradition littéraire et psychologique porté par les chefs de files Sade, Freud et Bataille ).
Le coeur du sujetQuelle et alors la grande particularité de ces vidéos et la raison pour laquelle nous devons nous y attarder ? C'est le parti pris, qui a été de tout montrer. Je ne sais pas si les Norvégiens ont les mêmes mœurs autour de la sexualité par rapport à nous, mais jamais ces images ne se seraient retrouvés sur les écrans français, tant nous sommes prudes et pudiques face à la nudité.
Mais au delà de son caractère provocateur, y a-t'il une utilité à montrer de manière frontale et photographique des appareils génitaux par exemple ? Bien entendu, oui, sinon quelle serait l'utilité de l'éducation sexuelle si elle désigne les choses de façon vague. Pourrions nous imaginer une méthode d'éducation sexuelle disant qu'il y a une certaine partie de notre corps qui va certainement se développer approximativement entre 12 et 18 ans et qui va certainement faire des trucs auxquels certains adultes sont peut-être habitués ?
Il faut également que les choses soient claires pour qu'elles surpassent toutes les approximations qu'on peut avoir provenant d'une autre source autour de la sexualité. Pour prendre l'exemple le plus parlant et le plus problématique, que vaut le discours d'un parent un peu pudique qui transmet par la parole ( langage articulé ) des préconisations sexuelles, face à un film pornographique qui transmet par l'image ( langage sensible ) des scènes claires, crues, et appliquées ? À peu près rien. C'est ici que Pubertet peut intervenir, car sa force de transmission est beaucoup plus importante que le reste. Nous avons alors l'intuition qu'une approche sensible de la sexualité ( manipulations, installations, images, animations ) peut avoir beaucoup plus de force qu'un discours.
Malgré ces affirmations, il reste tout un travail à appliquer. Il y a une façon de montrer les choses de la sexualité à un enfant. Et Pubertet en est un très on exemple. Dans un premier temps, on va chercher à s'éloigner de tout style « érotique », très associé malgré nous à la sexualité. Il nous semble d'ailleurs qu'il n'existe pas beaucoup d'autre tons employés lorsqu'il s'agit de sexualité. Pour se faire, la captation frontale est déjà une caractéristique efficace. Puisqu'il est convenu que l'érotisme est l'art du camouflage, tout montrer de façon directe permet de ne pas provoquer le désir, l'envie de voir ce qui est cacher, d'en savoir plus. La lumière est puissante, il n'y a pas de « zones d'ombre », la netteté est accrue. Ensuite, ne jamais montrer de signes physiques du désir est aussi un parti pris fort. Par exemple, jamais nous ne verrons de scène de séduction, d'amour, de visages se déformer sous l'émotion ou le plaisir. Nous ne verrons pas non plus de pénis en érection, de lèvres gonflées, ou d'éjaculations. Au contraire d'érotique, le langage pour parler de sexualité est ici ludique.
Pourquoi je dis ludique ? Parce que, comme avec le zizi sexuel, l'expo, les matériaux et les images utilisées sont ceux du jeu, de l'expérimentation scolaire, du jouet, pour faire court, exactement le même ton que celui utilisé dans la mythique émission « C'est pas sorcier ». Pour montrer l'évolution d'un testicule, on va nous montrer une noisette, puis une noix. Pour montrer l'évolution de la voix, on va mettre en comparaison un violon et un violoncelle. Pour montrer l'ovulation, on va montrer un œuf d'autruche au milieu de pleins d'oeufs de poule.
Il y a une autre particularité spéciale dans ce programme. La présentatrice n'est pas seulement narratrice, mais aussi manipulatrice. Elle met ses mains dans la boue, elle n'a pas peur, même si ça enfreint les limites de la pudeur. Elle touche les appareils génitaux, dévoile de ses doigts gantés le clitoris, décalotte le pénis, fait apparaître les testicules. Elle étale le sébum sur la peau, éclate un bouton d’acné, joue avec le sang menstruel, sent les dessous de bras d'un sportif en plein effort, dessine l'appareil reproductif d'une femme sur son ventre. Et quel est l'intérêt de cette manipulation ? Elle donne une impression de proximité. Le spectateur, qui a en règle générale tendance à s'identifier et à se rapprocher du narrateur ( le présentateur ), se sentira proche des questions de la sexualité si le présentateur lui même fait le lien avec. Si le présentateur n'est que commentateur, la distance qui sera prise avec le sujet sera ressentie chez le spectateur. Et cerise sur le gâteau. La présentatrice tombe enceinte et son ventre grossit au fil des épisodes. Peut-on imaginer meilleure immersion dans le domaine de la sexualité ?
RéceptionIl existe très peu de moyens de savoir comment la série a été reçue de la part des spectateurs. Il est encore impossible pour moi de traduire le Norvégien, et il existe très peu d'articles français ou anglais sur l'émission. Les seuls articles qui en parlent sont élogieux, mais sont issus de magazines et de blogs déjà assez revendicateurs pour que le grand public y ait accès ( madmoizelle par exemple ). Un article a cependant été publié par le figaro, et apparaît comme beaucoup moins enthousiaste en ce qui concerne cette émission. Sous une interview de Brigitte Lahaie qui fait la promotion de son émission sur la sexualité sur RMC, on va dire qu'une telle émission est n'est pas si nécessaire, et que les cours « sur la sensualité, sur l'affect » ( c'est à dire l'émission de Brigitte Lahaie ) est préférable. «Entre les cours sur la contraception et les MST, et la pornographie, les ados ont tout ce qu'il faut pour, à peu près, se débrouiller». Sérieusement ?! Je pourrais m'attarder longtemps sur cette phrase, mais elle nécessiterait un nouvel article. Quoi qu'il en soit, on retrouve bien ici l'opposition politique que pose l'accès à la sexualité pour les enfants.
Un seul indice nous renseigne à propos de la réaction du public, ce sont les notes sur Youtube. Toutes les vidéos ont un avis négatif sur cinq, et la dernière vidéo pose un record d'un avis négatif sur deux. Sans être catastrophique, par rapport au reste des vidéos youtube, le ratio n'est pas très bon, et on voit que ces vidéos posent problèmes et sont propices à la polémique. Et pourquoi la dernière vidéo récolte le plus d'avis négatifs ? Justement, parce qu'elle est de très loin la vidéo la plus vue. C'est sûrement celle qui a été la plus vue, parce que la plus représentative mais aussi celle qui pose le plus grand problème de représentation ( l'attirance, la séduction et l'acte sexuel ). Et par conséquence, puisque c'est la plus publiée, c'est celle qui a été le plus visionné par le grand public.
Et en ce qui concerne ma réception, il y a un fait que je ne peux vous cacher. Je me suis surpris, à quelques moments, à avoir cette boule au ventre, provoquée par une certaine gêne que je pouvais avoir devant certaines images. Et une question me hante. Est-ce que cette boule au ventre est provoquée par mon éducation et l'approche que j'ai été habitué à avoir de la sexualité, ou est-elle du à quelque chose de plus profond, et que tout les être humains porteraient en eux ? Je suis plus tenté de croire en la conception matérialiste de la transmission qu'en la conception mystique des attributs innés. Je crois que l'éducation, directe ou indirecte, (en plus des spécificités physiques d'une personne) est la seule source de développement d'un être humain. Je m'égare.
ConclusionEn bref, il nous semble que cette émission est une réelle avancée, et fait preuve d'une vraie maturité lorsqu'il s'agit de mise à disposition d'information sur la sexualité pour les enfants. Il y a beaucoup de choses et d'idées à récupérer, sans être aussi radical (nous sommes malheureusement encore en 2016), mais avec la même volonté de changer les choses.