Un film sur l'éducation alternative, le Labo Pratiques et pédagogies ne pouvait pas passer à coté. Captain Fantastic, réalisé par Matt Ross, tombe à pic en ce mois de novembre. Il n'a échappé à aucun grand festival de cinéma cet été, et les avis, tant du coté de la critique que du public, sont quasiment unanimes, ce film a l'air génial. Mes camarades sont convaincus, portés par la force du scénario et des événement qui viennent épicer le récit. Après tout ça, est-ce que je peux me permettre de jouer le rôle du mouton noir ?
En réalité, il y a deux façons d'aborder le film. Nous pouvons l'aborder en tant qu'objet politique, ou en tant qu'objet cinématographique. Dans l'idée que je me fais d'un film idéal, les deux se confondent. Mais ici, je vais prendre soin de séparer les deux pour exprimer mon avis divergeant.
En tant qu'objet cinématographique, ce film peut poser problème. Il souffre d'une incohérence, celle de ne pas avoir une forme adaptée au propos. Pour un film qui veut promouvoir l'anticonformisme et la rébellion, je le trouve extrêmement conventionnel.
En ce qui concerne la construction du récit par exemple, il n'y a rien de plus classique. Nous retrouvons un schéma assez conventionnel : Alors qu'initialement, tout allait bien pour la famille de Ben, un élément vient perturber son quotidien, sa femme se suicide. Le héros décide alors de partir dans un voyage initiatique, guidé par le souvenir de sa défunte fiancée qu'il voit dans ses rêves et qui fait office de mentor. Au fil des péripéties et des remises en question, il arrive au final à vaincre le méchant de l'histoire, son beau père, pour vivre heureux avec sa famille dans une ferme calme et ensoleillée. Une ferme calme et ensoleillée. Sérieusement. Je ne pense pas qu'il faille rejeter les schémas de récit conventionnels, mais ce n'est malheureusement pas le seul point problématique.
Dans la même veine, le film a une volonté d'utiliser un langage très symbolique. Tellement symbolique qu'il en devient presque caricatural. Pour expliquer par exemple que Ben aime et pense à sa femme même après sa mort, on va la faire apparaître d'une façon très onirique la nuit à ses côtés. Pour expliquer que le capitalisme, c'est les méchants, on va utiliser le personnage du grand père, qui est toujours habillé en costume, qui montre à outrance son argent, et qui n'est même pas capable de respecter les volontés de sa propre fille. Pour montrer que la famille de Ben, c'est les gentils, on va les faire faire preuve d'humour, de force de volonté et surtout d'amour. Peuvent-ils réellement se reprocher quelque chose en tant que gentils ? Non.
Le titre du film, « Capitain Fantastic », se veut être un jeu avec les titres de films de super-héros, comme pour dire que les vrais héros sont ceux du quotidien, comme Ben. Je trouve qu'au contraire, Ben ressemble totalement aux super-héros des films de blockbusters : Il est hors du commun, porté par l'amour du prochain, hanté par ses démons, et victorieux à la fin.
À travers toutes ces caractéristiques, ce film ne peut pas se revendiquer réaliste. Réellement pas. Même si l'artifice de la caméra-épaule, qui de plus est une tendance très rependue aujourd'hui, tend à nous le faire croire.
Mais arrêtons d'être élitiste et de nous faire passer pour cinéphiles aguerris, pour pouvoir nous poser les vrais questions : Est-ce que toutes les conventions que nous venons de citer sont justifiées ? Pourquoi utiliser ce langage classique pour parler d'un propos aussi progressiste ?
C'est ici que nous allons aborder le film en tant qu'objet politique. En réalité, le langage qu'il utilise est tout à fait justifié. Nous sommes ici dans une optique de vulgarisation et de popularisation d'idées qui ne sont au départ pas forcément faciles à comprendre. Nous allons utiliser des codes auxquels tout le monde est habitué pour pouvoir faire passer un propos difficile.
Et justement ce propos au final, quel est-il ? Ce film nous dit en gros que l'éducation alternative permet aux enfants d'être plus épanouis, savants, et fidèles à ce qui semble être des valeurs fondamentales comme l'entraide, la compassion et l'amour ( dans la tradition des films de super-héros ). Et tout au long du film, des nuances bienvenues viennent étayer ou remettre en question le propos.
Par exemple, celui de l'apprentissage de la vie sociale est particulièrement bien exploité. En vivant reclus du monde, la famille de Ben aura beau avoir un bagage de connaissances conséquent, leur éducation sociale aura été inexistante. Le personnage de Bo qui tente de séduire une fille en est un exemple très drôle et réussi. Ici, on dit que la vie d'ermite que vivait cette famille au début du film n'était pas propice au développement social et ne constitue donc pas un idéal, une utopie.
Ensuite, il est question des connaissances des enfants. On voit qu'ils connaissent plus de choses que n'importe quel autre enfant qui aurait vécu dans une société capitaliste, la séquence de la confrontation avec la « famille type » en est un très bon exemple. Mais la question que nous pouvons nous poser est la suivante : d'où provient leur érudition ? Est-ce qu'elle provient d'une réelle volonté de leur part ou d'un bachotage intense et forcé de la part de leur parent. Toute la bienveillance que nous avons pour ce film tend à nous faire penser que l'éducation chez ces enfant est naturelle est sans peine. Or, et c'est très étrange, le film ne nous le montre absolument pas. La transmission ne se fait pas dans la joie, mais plutôt dans la violence. Regardez ces séances sportives dans lesquelles le père insiste perpétuellement pour que ses enfants aillent plus vite. Regardez cette escalade sur un flanc de montagne qui peut faire tuer les enfants. Regardez cette surveillance du père qui, autour du feu, vérifie assidûment si les enfants vont assez vite dans leur lecture. N'avons nous pas ici à faire à des petits musiciens virtuoses qui ne sont talentueux que parce qu'on les a forcé à l'être ? N'avons-nous pas ici à faire à des enfants qui travaillent à la chaîne sous la tutelle de leur père ? Ici se trouve une réelle incohérence à élucider.
Il est aussi question dans ce film de vérité. Doit-on parler directement aux enfants, tout leur dire, rien ne leur cacher ? Selon Ben, oui. Il faut dire aux enfants que leur mère s'est suicidée, et pourquoi elle s'est suicidée. Il faut dire aux enfant ce qu'est un viol, ce qu'est un acte sexuel, un pénis et un zizi. Il est autorisé également de se promener nu devant ses enfants, autrement, ce ne serait que cacher la vérité. Ce propos est tout a fait justifié, et je pense également qu'il est bon de suivre ce principe. Je pense sincèrement qu'il faut surpasser ce fantasme dépassé de l'enfance innocente. Si nous ne disons pas les choses telles qu'elles sont aux enfant, pouvons-nous réellement parler de transmission ? . Cependant, en ce qui concerne tout spécifiquement mon projet, je pense qu'il faut également trouver le langage juste et progressif pour parler aux enfants de la sexualité notamment, ce à quoi Ben, de façon très drôle, n'a pas forcément fait attention.
Mais en règle générale, à propos de l'éducation, il me semble que ce film transmet de bonnes idées qui peuvent faire réfléchir aux familles par exemple au concept même de l'éducation. On a pu voir ce soir là un cas d'école assez réussi en ce qui concerne la popularisation d'une idée nouvelle.