Pour mettre se rendre compte de tous les paramètres qui peuvent être impliqués, il est intéressant d'observer un cas particulier, celui du rendez-vous dans le cabinet médical d’un médecin généraliste. Tout le monde a dû au moins une fois dans sa vie s'y rendre et accepter par conséquent le contrat tacite qu'il existe entre le médecin et son patient, sans jamais le formuler. Ce contrat délimite l'espace métaphysique dans lequel se déroulera l'entretien. Il y est indiqué ce qu'il pourra s'y passer et également ce qui y sera interdit.
"Médecin" sur la banque d'image Dreamstime
Par exemple, lors de l'entretien médical, il est convenu que le patient puisse dire exprimer certaines facettes intimes de son quotidien, de ses habitudes ou de ses pensées. Il est également convenu que le médecin puisse demander à son patient de dévêtir des parties de son corps, de le toucher. Ces permissions ne sont pas exprimées, et pourtant bien acceptés par tous. Également, il existe des interdictions. Par exemple, il n'est pas autorisé à un médecin d'exprimer un jugement à propos de son patient, ni d'exprimer une émotion, surtout si elle le concerne.
Ces paramètres sont tacites, et pourtant nombreux sont les éléments concrets - sensibles ou législatifs - qui les valide. Dès notre arrivée dans le bureau, on nous indique que nous entrons dans un espace autre, une sorte d'hétérotopie, qui fonctionne avec ses propres règles.
C'est le médecin qui nous y accueille, en prenant soin de nous saluer grâce à la très professionnelle poignée de main. Cette poignée nous montre que c'est le médecin qui est maître de cet espace, et que nous ne pouvons pas le pratiquer sans lui. D'ailleurs, avons nous déjà vu un médecin hors de son cabinet ? Ce signe de main indique la bienveillance du médecin pour son patient mais également leur rapport strictement professionnel.
Ensuite, les deux acteurs s'installent de part et d'autre d'un bureau. Ce bureau est important dans la distance qu'il maintient entre ces deux acteurs. Cette distance nous en dit beaucoup sur la teneur du rapport entre les personnages : ils sont séparés mais peuvent tout de même communiquer. Au delà de ses caractéristiques spatiales, lors du dialogue au début de l'entretien, ce bureau connote également la teneur professionnelle que va avoir la séance.
Cette caractéristique est appuyée par le costume qu'endosse le médecin. Qu'il soit vêtu d'une blouse ou d'une veste, cette tenue va confirmer l'autorité et le grade professionnel qu'a acquis le médecin. Dès que le patient a vu ce vêtement, il est au courant de son statut et l'entretien peut commencer, le patient peut dévoiler son problème. Le patient n'a pas peur de raconter son problème même si il relève de son intimité, car un autre paramètre tacite, celui de la loi du secret professionnel, le protège.
"Entretien médical" sur la banque d'image Dreamstime
Très nombreux sont les paramètres qui confirme ce contrat et qui va installer plus ou moins de confiance chez le patient. La bibliothèque du médecin montre qu'il est soutenu dans ses propos par des siècles de recherches médicales, le lavabo montre son hygiène, la taille des fenêtres connote l'exposition au monde, la taille du cabinet nous montre la discrétion de la séance si il est petit, autant que le confort matériel si il est grand... Bref, le cabinet médical est un trésor de signes, et c'est ces signes sur lesquels peut agir le designer pour signifier différemment. Et toutes les disciplines du design sont invoqués. Le design d'objet, la scénographie, le design d'espace, le design graphique, le design textile...
Il s'agit alors au designer de manipuler tous ces signes afin de créer un environnement adéquat au type d'entretien dont il s'agit, pour que le patient soit amené à exprimer le mieux possible ce qui le concerne précisément.
À travers ce paramètres, il y a un notion qui se révèle être très intéressante, celle des rôles. Qu'imaginons nous d'une séance d'entretien entre un médecin et un adolescent ? Un homme dégarni portant des lunettes rondes, en blouse blanche, avec une stéthoscope dans la poche, accueillant un adolescent boutonneux aux cheveux gras, portant un blouson aux écussons de Metallica ou un logo Anarchie ? Dans n'importe quelle situation, il nous vient souvent des images, des rôles et des comportements stéréotypés. Cette anticipation peut poser problème, elle peut ne pas nous mettre en confiance si nous devons être face à cette situation, car nous ne nous sentirons pas conformes aux stéréotypes, répondre aux attentes qu'on a de nous. Et si nous nous jouions de ces rôles ? Si nous réfléchissions à ces stéréotypes anxiogènes pour instaurer une atmosphère de confiance, qui permet de dialoguer plus facilement, et par conséquent, de dire l'indicible ? Le projet Marionnect1, qui joue sur ces notions de déguisement lors d'entretien thérapeuthiques, nous donne des éléments de réponse.