Nous le savons et nous l’expérimentons lors de nos discussions, certains sujets sont difficiles à aborder, inarticulables, tabous. La sexualité, la maladie, le handicap, les conflits ou le mal-être sont des problématiques qui peuvent ne pas être formulées ouvertement. Nous nous sommes habitués à ces tabous, et la plupart d’entre-nous avons construit un système de parades, de silences et de confidences afin d’éviter d’exprimer ces sentiments au tout venant, et de vivre paisiblement avec eux.
Cependant, il existe de nombreux cas où ces problématiques taboues deviennent une source de souffrances et de mal-être plus graves. C’est d’ailleurs ce contre quoi les psychologues, les médecins, les assistants sociaux se battent depuis de nombreuses années. Ils proposent de créer une discussion, un dialogue avec leurs patients afin de leur permettre d’exprimer leurs problèmes personnels, dans le but de construire une thérapie adaptée. D’ailleurs il est important de rappeler que si un problème est exprimé par le patient, il est à moitié résolu. Henri Bergson, dans La pensée et le mouvant1 en 1934, affirme même qu’”un problème spéculatif est résolu dès qu'il est bien posé”. Suite à cette pensée, nous pouvons synthétiser une partie du travail des professionnels de la santé comme ceci: permettre aux patients d’exprimer l’indicible afin de comprendre et de résoudre leur mal-être.
À partir de cette observation naît une intuition: celle qui consiste à dire que le designer a un rôle à jouer dans ce processus thérapeuthique. En effet, il a pu au fil du temps créer des outils qui ont permis aux usagers de mieux s’exprimer et de s’exprimer autrement que par la parole, grâce aux images, à la gestuelle, aux signes, aux sons... notamment lors des entretiens thérapeutiques. Par exemple, l’outil EVA, l’échelle visuelle analogique, qui permet à un patient de quantifier sa douleur, est, dans sa simplicité, très symptomatique de cette démarche. Elle permet en effet d’exprimer quelque chose qui est très subjective, la douleur, grâce à un système de quantification graphique.
Cette intuition d’exprimer l’indicible s’inscrit également dans l’idée selon laquelle il n’y a pas que la raison culturelle du tabou qui soit à l’origine du non-dit, mais qu’une carence technique peut aussi en être la cause. En effet, il est aisé d’imaginer que ce soit un manque de vocabulaire qui ne permette pas à un individu d’exprimer la particularité de ses idées. Pour aller plus loin, on peut considérer que le langage oral n’est peut-être pas assez riche pour exprimer des idées très précises, et que d’autres formes d’expressions sont plus appropriées. En effet, il est facile de penser que la peinture est plus propice pour exprimer la couleur, la sculpture et l’architecture pour exprimer le volume, le cinéma pour exprimer le mouvement, la musique pour exprimer la mélodie.
Le designer, et sa capacité à repenser les différents médias et les différents outils d’expression, peut alors intervenir au sein de cette rencontre entre un patient et un professionnel de la santé. Cependant, il s’agit de savoir où, dans quelle mesure, et comment il doit s’y prendre. Nous nous demanderons donc, au fil de ce mémoire, quelle place a le design dans l’entretien thérapeutique.
Nous découvrirons qu’il y a trois principaux processus, inhérents à l’entretien thérapeutique, sur lesquels le designer peut avoir une influence. Le premier processus est celui de la traduction, si on part du principe selon lequel le travail principal d’un professionnel de santé est de traduire des symptômes en informations intelligibles. Dans un second temps, nous verrons en quoi son intérêt n’est pas si réduit, et que le professionnel de la santé endosse aussi un travail important de médiation. Et enfin, nous apprendrons que tous les paramètres environnants à l’entretien thérapeuthique ont une influence sur son déroulé et la qualité de l’entretien, et que le designer a la capacité de régler tout ces paramètres.
De façon assez régulière, ce sont des dispositifs médicaux et quelques attitudes des professionnels de la santé qui sont analysés au sein de ce mémoire. Puisque nous n’avons pas été formés aux spécificités pointues de ce domaine, nous nous contenterons d’analyser le corpus de créations à travers leurs caractéristiques sémiologiques, techniques et fonctionnelles. Cependant, l’objectif que nous souhaitons atteindre en tant que designer est le même que celui des professionnels de la santé, apporter aux patients le soin le plus efficace possible.