Ce test, créé en 1921 par le psychanalyste Hermann Rorschach1, consiste à évaluer la psychologie d'un patient à partir de taches d'encres. Il s'agit tant d'un lieu commun qu'il a été à de plusieurs reprises utilisé dans la culture populaire en tant qu'élément graphique pour exprimer la déviance psychologique. Alan Moore et Dave Gibbons, dans leur comics Watchmen2, le réutilise pour créer le masque du personnage Rorschach, qui a la particularité d'avoir un profil psychologique dérangé, et Robert Hales en 2006 en fait l'élément principal du clip du groupe Gnarls Barkley, Crazy3.
Le déroulement du test de Rorschach est le suivant1: Le psychologue propose à un patient d'interpréter librement dix planches graphiques, les unes après les autres. Pendant qu'il parle, il faut que le psychologue prenne scrupuleusement des notes. Puis, à la suite de cet entretien, le psychologue doit analyser le protocole de l'entretien ( c'est à dire les réponses données par le patient, mais aussi le temps utilisé pour élaborer une réponse, ou encore le vocabulaire utilisé... ).
Un système graphique libreCe dispositif est composé de dix planches graphiques qui reposent sur le même principe de création dont on peut facilement en définir le procédé. Des tâches d'encres sont disposés sur une feuille, puis la feuille est pliée en deux, ce qui, puisque qu'il se fait une impression mutuelle entre les deux parties de la feuille, produit une forme strictement symétrique. On peut avant toute chose se demander en quoi ce principe graphique est pertinent pour l'analyse psychologique.
Test de Rorschach, Planche 4 et 3
La première chose qui peut être notée, c'est la qualité abstraite de ces planches. Elle est primordiale, c'est elle qui va permettre de définir un degré d'interprétation plus ou moins fort de sa part. On peut en effet dire que plus une forme graphique est figurative, moins elle va laisser de place pour la libre interprétation. C'est justement ici que se trouve l'essence du test de Rorschach, l'interprétation des formes par le patient ne va pas nous donner des informations sur les planches, mais sur le patient lui-même. On part alors du principe selon lequel un langage oral, quelque soit l'objet dont il parle, peut en dire beaucoup sur le profil psychologique de l'émetteur.5
En ce qui concerne les éléments à interpréter, le choix de l'encre est ingénieux. Il nous est clair qu'il s'agit de lavis, de l'encre mélangé à de l'eau. Ce mélange nous permet d'obtenir une palette de niveau de gris assez riche qui permet au patient de reposer son interprétation sur une plus grande gamme de caractéristiques graphique. Dans la même idée de richesse, l'encre permet également un niveau de détail assez fort. Et enfin, elle peut avoir plusieurs couleurs. On observe que cinq des dix planches de Rorchach sont colorés. L'encre permet alors au patient de s'appuyer sur une richesse de caractéristiques graphiques variables pour élaborer son interprétation.
Il faut ensuite se demander si la symétrie est un principe graphique pertinent pour permettre une interprétation riche et variée des différentes planches. Une première réponse peut être négative, car la répétition d'une même caractéristique, même si elle crée une identitée assurée et marquante au projet, peut produire des réactions semblables chez le patient au regard des différentes planches. Si le patient est très attentif au principe de symétrie plus qu'aux singularités formelles, sa réponse peut être toujours la même devant chacune des planches. Ce n'est originellement pas souhaité étant donné le nombre de planches.
Cependant, suite à une analyse plus approfondie, on se rend compte que le principe de symétrie est le résultat d'un procédé créatif qui est, lui, central. En effet, le protocole de création de ces tâches est important dans ce qu'il produit d'aléatoire. Ces formes ne sont pas réfléchies, mais fortuites. Avant d'ouvrir la feuille pliée en deux, nous ne savons jamais à quelles formes nous allons avoir à faire.
Ce processus est important dans ce qu'il dit au patient. Le patient, confronté à ces formes pour la première fois, peut facilement comprendre qu'il s'agit d'une création aléatoire. Sachant cela, il pourra laisser plus libre cours à son imagination. Au contraire, si il avait été mis face à des visuels plus construits, il aurait peut-être pensé qu'il n'existe qu'une seule réponse. Il aurait cherché à se mettre à la place de son auteur pour comprendre quel était son dessein.
Nous pouvons par exemple émettre l'hypothèse selon laquelle l'interprétation libre est beaucoup plus difficile devant une toile de Kandinski, pourtant considéré comme l'un des fondateurs de l'art abstrait au XXe siècle. En effet, si un patient était amené à interpréter une de ses toiles, Composition VIII6 par exemple, il pourrait être amené à vouloir déceler ce que l'auteur a voulu exprimer. Ici, nous y sommes amenés car nous sommes face à des formes construites ( des cercles, des carrés, des traits... ). Cette hypothèse permet de faire la distinction entre deux notions qui peuvent être importante dans le processus d'interprétation: l'aléatoire et l'abstrait. L'aléatoire demande au moins une étape de création où il n'y a pas de maîtrise, ce qui n'est pas essentiel dans la création abstraite.
KANDINSKI Vassily, Composition VIII, Galerie Tretiakov, Moscou, 1913, Huile sur Toile, 200 x 300 cm
Le système graphique aléatoire du test de Rorschach est alors pertinent dans la liberté d'interprétation qu'il laisse au patient, et donc dans une potentielle richesse diagnostique de son discours.
Un protocole d’entretien régléLe protocole du test de Rorschach laisse cependant beaucoup moins de liberté au patient que le graphisme n'a pu le suggérer. En effet, certaines caractéristiques de ce protocole sont plutôt strictes. La première qui nous le prouve est l'existence de seulement 10 planches au sein de ce test. Ces planches sont toujours les mêmes, quel que soit le patient, le psychologue, ou l'environnement dans lequel il se rencontrent.
Peut-être que la solution idéale pour s’assurer que l’usager comprenne qu’il s’agit de productions aléatoires et singulières, aurait été de créer ces visuels face à lui, grâce à de l’encre et à une feuille pliée. La facilité de production de ces visuels nous l’aurait en tout cas permis.
Cependant, ce n’est pas le cas avec le protocole de base qu’a défini Hermann Rorschach, et nous pouvons nous demander si le protocole porte alors attention à la singularité du patient.
Cette question prend d’autant plus d’importance lorsqu’on se rend compte qu’un consensus de psychanalystes voudraient que certaines planches fassent nécessairement références à des notions particulières. Ainsi, la planche IV se voudrait une planche phallique : elle ferait appel à la problématique du phallus et de la castration, à l'image du père. Également, la planche V ferait appel à l'image de soi et à l'image du corps. Ces préconceptions, qui prônent l’idée d’inconscient collectif7, négligent, il nous semble, que chacun des individus ont des perceptions, des cultures, et des éducations différentes. Cette façon d’interpréter la psychologie se rapproche du dispositif SCRIB et des problèmes qu’il engendrait: tous les individus sont traités de la même façon, selon les mêmes normes qui ne correspondent sûrement pas à leur environnement propre.
Cependant, nous apprenons qu’il y a différents moyens d’appréhender le dispositif de Rorschach, et que d’autres professionnels l’utilisent de façon plus libre, de façon adaptée aux patients. C’est ce en quoi consiste l’approche idiographique ( qui s’applique à étudier les individus de manière isolée ) contrairement à l’approche nomothétique ( qui s’applique à tirer des lois générales à partir de faits constatés ).
Mais quelque soit le type d’analyse du protocole suite à un test de Rorschach, il faut mettre en avant ce qui nous intéresse le plus, c’est à dire le processus de traduction. Ici, on récupère des informations durant l’entretien et on établit un diagnostic après celui-ci, en dehors de la présence du patient. Ce procédé est préférable à celui de SCRIB, car il comprend l’intervention d’un professionnel de la santé, mais nous pose tout de même un problème: celui de la place du patient. Étant donné qu’il a une place centrale dans la thérapie, ne serait-il pas idéal qu’il fasse partie du processus de diagnostic, et qu’il ne soit pas totalement mis à l’écart lorsque le professionnel de la santé le produit ? C’est comme si on procurait un soin ou une médicamentation à un patient sans lui en expliquer la raison.
Le professionnel de la santé, ici, n’adopte le rôle que d’un récepteur d’information, puis de traducteur, mais jamais le protocole d’élaboration du diagnostic est transmis au patient. Or, pour résoudre un problème, notamment d’ordre psychologique, il s’agirait de transmettre de nombreuses informations au patient. Heureusement, le professionnel de la santé a également un rôle très important dans cette tâche. En plus d’être traducteur, il est également, si ce n’est principalement, médiateur.