III. Un projet, parler d'amour
Cequepermetlejeu

La médiation par le jeu est particulièrement adaptée lorsqu’il est question d’éducation à la sexualité.

Accéder au langage par la manipulation

J’en ai eu l’intuition dès que nous avons abordé la question du tabou. Je me suis rendu compte que le langage articulé à propos de la sexualité était plus difficile à apprivoiser que le langage sensible. Le faire est plus facile que le dire. Par exemple, je me souviens d’un enfant qui venait de finir sans erreurs le jeu Discussion de salle de bain1 lors d’une de mes interventions au vaisseau. Il avait réussi à conceptualiser parfaitement les différents types de relations que l’atelier lui proposait. Mais quand je lui ai demandé verbalement ce à quoi correspondait l’association des deux brosses à dents bleues, il était devenu rouge et aucun mot de pouvait sortir de sa bouche. Il n’arrivait pas à dire le mot homosexuel alors qu’il venait de me prouver qu’il en avait compris le sens. Également, lors de la mise en place de mon atelier Puzzle des corps2, lorsque la maîtresse d’un groupe d’enfants de CE1 a demandé de nommer une partie du corps du jeu à un enfant en particulier, celui ne s’exprimait que par des bruits de dégoût, et n’a réussi qu’à dire le mot sein, sous l’hilarité générale, après un certain temps.

Il est alors intéressant d’affirmer cette distinction entre le langage articulé et le langage sensible, car elle est importante en terme de sexualité.

D’un côté, nous avons le langage sensible qui correspond aux représentations de la sexualité. Elles peuvent apparaître sous différentes formes, telles que les images, les vidéos, les sons… Nous pouvons par exemple penser à une publicité pour de la lingerie ou aux voix sensuelles des animatrices de la radio F.I.P. Ces représentations sont intéressantes car leur effet est direct, sans interventions de l’intellect. Nous pouvons par exemple ressentir directement un sentiment de désir ( c’est ce en quoi consiste l’érotisme ) ou un sentiment de dégoût ( c’est ce que provoque le tabou ). Mais cette spontanéité pose aussi problème, notamment avec la pornographie, parce qu’il est difficile d’avoir une distanciation avec ces représentations. Il est facile d’être passif devant elles. C’est difficile d’avoir un regard critique. Si notre esprit critique n’est pas assez aiguisé, on va avoir tendance à les percevoir comme une vérité. C’est à partir de cette conception qu’on peut penser qu’un contenu pornographique n’est pas adapté aux adolescents et au enfants.

De l’autre côté, nous avons le langage articulé. Celui-ci est beaucoup plus difficile difficile à produire et à recevoir, nous avons pu le voir grâce aux ateliers mis en place au vaisseau. Et pourtant, il est important. Il permet de conceptualiser la sexualité, et donc de prendre une distance avec elle. C’est d’ailleurs pour cette raison que mon projet s’appelle “Parlons d’amour”. J’ai l’intuition que parler de sexualité permet une distanciation et donc une prise de conscience de notre rapport à elle.

À partir de cette distinction, j’ai décidé de passer par un langage sensible, celui du jeu, de l’objet, parce que celui-ci est plus facile, plus simple, pour provoquer le dialogue, et permettre à l’enfant d’avoir une approche consciente de la sexualité. J’ai voulu accéder au langage par la manipulation.

Jouer un rôle

Également, ce que permet le jeu, c’est la fiction. C’est de créer un espace-temps qui soit hors de la réalité. Cette caractéristique permet de dépasser le tabou car l’enfant aura conscience qu’il jouera un rôle, et que ce n’est pas directement de sa sexualité dont on va parler, mais de celle de son personnage. Ici revient une opposition qu’il est essentiel de faire dans la médiation sexuelle selon Israël Nisand3: Il faut faire une distinction entre notre sexualité, et la sexualité, et c’est ce que le jeu permet.

  1. Voir annexe Ateliers au vaisseau
  2. Voir annexe Ateliers au vaisseau
  3. Voir annexe Rencontre avec Israël Nisand
Article précédent
Des productions érotiques pour enfants ?
Article suivant
Conclusion