Lorsque je me suis mis à créer mes ateliers, je me suis souvent demandé quel aspect pouvais-je donner aux jeux destinés aux enfant. Est-ce qu’il fallait plus s’approprier le graphismes des personnages des dessins animés ou utiliser des formes élémentaires pures ? Est-ce qu’il fallait s’inspirer des démarches pédagogiques de Dora l’exploratrice1 ou de Maria Montessori2 ? Est-il réellement pertinent d’utiliser un langage abstrait pour s’adresser aux enfants ? On a en effet l’impression que l’abstraction est inadaptée aux enfants, qu’ils ont le plus souvent besoin d’images et de métaphores pour comprendre.
SCRATCHY Lili, Bande de touillettes, céramique illustrée, date inconnue
Par exemple, il y a une tendance à la personnification qui semble répandue dans les représentations pour enfant. Cette idée se base sûrement sur notre propre observation d’eux-mêmes. Souvent, ils s’amusent à raconter des histoires avec des personnages, des poupées. C’est ce qu’on lit dans avec la bande de touillettes3 de Lili Scratchy. C’est comme si, pour inciter les enfants à utiliser une touillette un objet fonctionnel, on va se sentir obligé d’en faire des petits personnages, pour qu’ils puissent les manipuler, les expérimenter, et se laisser séduire par eux, et raconter des histoires avec.
On retrouve cette même intention d’associer le personnage avec les objets fonctionnels chez les industriels des vêtements par exemple. Il arrive très souvent qu’on voit des enfants avec le héros de Cars4 ou un Minion5 sur leur chaussures ou leur t-shirt par exemple. Mais on peut reprocher à ces objets de détourner l’attention de la fonction principale des objets. Est-ce qu’il faut choisir des chaussures en fonction de leur emballage visuel ou de leur qualités ergonomiques ? Est-ce que les touillettes restent des touillettes ? Ne deviennent-elles pas des figurines à part entière ?
VERSINI Marie-hélène, BOUDGOURD Vincent, Monsieur Zizi, Toulouse, Milan Jeunesse, 2011
On va alors souvent utiliser le personnage comme élément de séduction pour l’enfant. Peut-être est-ce que c’est parce qu’il peut facilement s’y identifier, facilement s’en emparer, et le comprendre. C’est d’ailleurs la démarche formelle adoptée par Marie-Hélène Versini et Vincent Boudgourd dans leur album Monsieur Zizi6. Pour comprendre le zizi, on va, de façon humoristique, utiliser un personnage qui va observer son propre zizi se transformer, faire des siennes. Ainsi, on peut espérer une vraie identification. D’ailleurs on peut remarquer à quel point la personnification tient à peu d’éléments graphiques. Monsieur Zizi est juste une énorme forme rose à laquelle on a ajouté deux petits yeux et quatres traits qui constituent ses membres. Donc ici, la limite entre l’abstraction et la figuration est très indistincte. On voit que la notion de personnification n’est pas étrangère à celle de l’abstraction.
COX Paul, Sculptures Alphabétiques, année inconnue.
L’abstraction, c’est ce que propose Paul Cox, avec ses sculptures alphabétiques7. Il n’y a aucune figuration, et pourtant, on imagine très facilement un enfant les manipuler. Pourquoi ? Parce qu’il existe dans les choix plastiques de la création des caractères propres au jeu, à l’univers ludique. Le choix le plus évident qui a été fait est celui de la couleur. Elle renvoie à la majorité des créations pour enfant, qui ont choisi d’utiliser une variété de couleurs vives et primaires. Ensuite, un choix a été fait au niveau de la manipulation. Le volume des pièces et leur multiplication nous fait comprendre que nous pouvons les manipuler, les assembler, jouer avec. Et enfin, l’intervention d’un code entre forme et caractères, implique aussi l’idée d’un déchiffrement et donc d’un jeu. On peut alors penser que l’efficacité d’une création pour enfant ne dépend pas de son degré d’iconicité, mais de sa capacité à faire sens tout en séduisant.
Et c’est de cette façon que jeu et l’amusement deviennent le point de concours de ces deux volontés.