Dans les ateliers que je compte proposer aux écoles et au parents, je pense qu’il serait judicieux d’utiliser un matériel sensible, qui évoque des sensations, des émotions. Or si on croise les notions de sensorialité et de sexualité, on en arrive à la notion de sensualité. La question qu’il faut se poser dès à présent est: peut-on envisager une forme de sensualité dans les outils mis à disposition des enfants ?
La vérité sur les contes de féeLa vérité sur les contes de fée, Salon de la littérature érotique pour enfants, Illustrations de Benjamin Chaud
Ce sont les illustrations de Benjamin Chaud1 qui ont fait naître en moi ce questionnement. Cet illustrateur pour enfants a publié sur son compte Facebook durant la période de l'été 2016 une série non-officielle d'illustrations nommées « la vérité sur les contes de fée ». Dans cette série, l'illustrateur va parodier des contes populaires pour enfants ( les trois petits cochons, blanche neige, Pinocchio... ), en nous en proposant une version érotique. Le type de dessin, naïf et positif, présente toutes les caractéristiques de l'illustration pour enfant, comme s’il lui était destiné. Parallèlement à ces parodies, il crée l'affiche d'un événement imaginaire, « Le salon de littérature érotique pour la jeunesse ». Benjamin Chaud voudrait-il instaurer un érotisme pour enfants ?
La question à se poser ici est celle du réel public visé. Non, ce n'est pas l'enfant. Ici, c'est l'adulte, puisque rappelons-le, nous sommes sur Facebook, et le réseau social n'est légalement pas autorisé aux moins de 13 ans, et ces illustrations n'apparaissent, à ma connaissance nulle part ailleurs. Également, seul le bagage culturel de l'adulte permettra de comprendre l'humour présent dans la plupart des illustrations. Quand à la teneur érotique de ces illustrations, elle est peut être présente pour l'adulte, mais est-elle aussi évidente pour l'enfant ? Il serait très intéressant de mettre des enfants face à ces images, qui ne sont jamais violentes ni dérangeantes, pour percevoir leurs réactions.
Le petit plaisir de la transgressionMais alors est-ce que l’enfant pourrait être réceptif à une certaine forme de sensualité ? Oui, selon Anne-Laure Desflaches, designer à la fabrique de l’hospitalité2 de Strasbourg. Dans un atelier qu’elle a mené, des enfants, en binômes, étaient conviés à dessiner au crayon le contour de leur camarades sur une feuille derrière eux. Mais dès que les enfants s'approchent d’une partie sensible du corps de l’autre, comme l’entre-jambe par exemple, Anne-Laure observait qu’ils n’y étaient pas insensibles et que sous leurs rires gênés pouvait se cacher une sensation, une émotion.
Au fil des ateliers que j’ai mis en place, je me suis mis à penser que si il existait une sensualité à laquelle seraient très réceptifs les enfants, ce serait peut-être celle de la transgression dans leur rapport au sale, au dégoutant. Par exemple, durant mon atelier le Puzzle des corps3, qui est un puzzle qui leur permettait d’assembler des personnages nus, avec leurs poils, leurs seins, leur pénis et leur pubis, il y avait une certaine jouissance de la part de certains enfants à toucher les illustrations avec une expression de dégoût. J’ai même surpris des enfants se lancer une pièce représentant une paire de seins comme s’il s’agissait d’une chose dégoûtante, comme une maladie, un virus qui s’attrape si on le touche.
Je ne suis pas seul à observer cet attrait pour le dégoût. Par exemple, à l’expo du Zizi sexuel4 présentée à la cité des sciences de Paris en 2014, il y a eu plusieurs installations évoquant des éléments organiques qui, dans une vision classique des chose, sont sales, dégoûtants. L’Essoreuse à langues était par exemple une installation dans laquelle l’enfant était convié à emmancher la langue d’un personnage géant pour jouer avec la langue d’un autre personnage, lui aussi géant. L’orgue des odeurs permettait également aux enfants de sentir les effluves d'haleine, d’aisselles, de pieds grâce à des pompes en plastique. Ce qui m’a marqué, c’était la réaction de dégoût et en même temps d’attirance des enfants autour de cette installation.
Installations au guide du zizi sexuel, l’expo GOUY Maud, VATINEL Dorothée, ATTIÉ Géraldine
Il me semble également important important d’évoquer l’émission d’éducation sexuelle norvégienne Pubertet5. Cette émission s’est singularisée courant 2016 pour sa façon frontale de traiter les questions de la sexualité. On y montre tout. Des corps nus, de la peau, des poils, des boutons, des odeurs, du pus, du sang menstruel, du sperme, des seins, des pénis, des vagins, de personnes de toutes les tranches d'âges, adultes, adolescents, enfants. Et lorsque le sujet est dégoûtant, on s’en réjouit, et on accentue visuellement l’effet. Par exemple, l’animatrice ne va pas hésiter à sentir l’aisselle d’un sportif en plein effort, ou exploser un bouton d’acné géant pour en extraire tout le pus. Pour évoquer le plus justement possible alors, si ce n’est pour marquer, il ne faut pas hésiter à provoquer le dégoût.
NEWTON, Pubertet, série télévisée norvégienne, 2015
Une forme d’érotismeEt si nous recentrons notre discours sur la sensualité, y aurait-il un intérêt à évoquer une forme d’érotisme dans les ateliers mis en place ?
Selon Maïa Mazaurette, ce ne serait pas hors de propos. En effet, dans son article Une enfance sans pornographie6, elle soutient le fait que la culture érotique est nécessaire à la création de nos fantasmes, donc à la création de notre désir, donc à la création de notre sexualité. Elle va mettre le doigt sur le fait que l'absence de culture érotique pour l'enfant est inimaginable : « On développe quoi, sans base culturelle ? On écrit quoi, sans grammaire, on invente quoi, sans table des éléments ? ».
Et partant de cette perspective, la chroniqueuse met le doigt sur la qualité de ce bagage érotique. Non, il ne faut pas que la source de références érotiques soit unique, comme notre relation à la pornographie depuis une dizaine d’année tend à le pense, mais qu'il fasse preuve d'une certaine diversité de points de vue et de contenu, qu'on puisse avoir la possibilité de sélectionner, de confronter, et de s'approprier les nombreuses, les très nombreuses et différentes images que nous pouvons avoir de la sexualité. Donc, l’érotisme pour enfant serait pertinent dans une démarche d’opposition à l’accessibilité grandissante de la pornographie.