Il était une fois, dans une modeste maison de campagne, un garçon nommé Romain. Romain avait 7 ans. Son animal de compagnie, Cannelle, une chatte, se dandinait dans le salon, son postérieur en l’air et la queue sur le côté. Elle venait d’entrer dans sa période de chaleurs. Mais Romain ne le savait pas, il s’inquiétait.

Troublé par ce comportement bizarre, il décida de demander à sa mère pourquoi Cannelle se dandinait de cette façon. “Elle est très malade Romain, lui expliqua sa mère, Cannelle est constipée. Il faut qu’on lui trouve un médecin pour la soigner”. Romain, préoccupé, était prêt à soulever des montagnes pour qu’on vienne en aide à son animal.

Imaginons la suite de l’histoire. C’est comme si à travers elle, on pouvait connaître la façon dont allait grandir Romain. Si par chance, il découvre un jour le mystère qui plane autour de son chat, il comprendra sûrement que ce n’est pas correct de parler de la reproduction animale. Il pourra même reporter ce sentiment la sexualité en général, en la percevant comme vulgaire et inappropriée à la discussion. C’est en tout cas ce que sa mère lui aura fait comprendre par son esquive.

© Suzanne Nilsson

Et imaginons qu’il arrive un jour à comprendre que Cannelle était en réalité en pleine saison des amours. Avec le souvenir du discours de sa mère, il associera sûrement la sexualité à la maladie, à une chose qu’il faut soigner, qu’il faut guérir, pour aller mieux, pour revenir à la normale. Que se passera-t’il quand il ressentira les premières manifestations de son désir ? Peut-être se sentira-t-il coupable, anormal ou malade ?

Si Romain arrive enfin à percevoir, grâce aux dialogues qu’il a eu avec ses amis et à ce qu’il a vu sur internet, que le désir est une chose que tout le monde pouvait ressentir, arriverait-il seulement à reconnaître les particularités du sien ? Sa sexualité pourrait très bien ne pas correspondre à celle de la majorité. Il pourrait se sentir soit homosexuel, bisexuel ou assexuel. Il pourrait aussi se croire contraint de correspondre à un modèle conventionnel et normatif auquel les médias nous confrontent depuis notre plus jeune âge. Et dans le cas où il découvre sa propre sexualité, arriverait-il à en être fier, arriverait-il à comprendre qu’elle fait sa force, et qu’elle lui permet de s’affirmer en tant que personne?

Et imaginons maintenant qu’il accepte sa sexualité, arriverait-il à accepter celle des autres ? À comprendre qu’elles ont autant de légitimité que la sienne, ou mieux, qu’il peut s’approprier leur richesse pour trouver sa propre façon de s’épanouir en communauté ?

Peut-être même, un jour, Romain, devenu adulte, aura lui-même un enfant. Cet enfant, curieux, demandera à son père pourquoi la chatte du foyer a le postérieur en l’air, la queue sur le côté. Certainement il lui dira que sa chatte est constipée, malade. À part s’il désire changer le cours des choses...