Au delà des lieux “spécialisés” dans lesquels il est conventionnel de penser l’éducation sexuelle, il serait aussi pertinent de l’envisager là où l’enfant passe l’autre moitié de son temps de vie, c’est à dire à la maison.
Parce que oui, la maison est également un lieu d’apprentissage. C’est aussi ici que l’enfant va découvrir le monde, les interactions, et des “disciplines” quotidiennes comme l’hygiène ou la cuisine. Ceci nous permet de rappeler que les professeurs ne sont pas les seuls pédagogues, que les parents le sont également. C’est eux qui créent l’environnement dans lequel grandit l’enfant. Et selon Céline Alvarez1, pour espérer le meilleur éveil possible, cet environnement a besoin d’être riche2. Par exemple, le langage environnant a besoin de l’être. L’idéal serait que les parents utilisent le langage le plus précis et le plus varié possible, pour que l’enfant puisse à son tour s’exprimer avec une grande liberté et une grande indépendance.
C’est pourquoi Il ne faut pas uniquement penser une éducation sexuelle à l’école, mais aussi exporter cette formation à la maison, en dépassant une nouvelle fois le tabou auquel les parents peuvent être naturellement confrontés.
Peut-être, le moyen pour évoquer la sexualité sans gêne est d’éviter la frontalité en privilégiant différents supports de médiations, comme des jeux à jouer en famille ou des œuvres culturelles. Dans cette intention, un objet quotidien devient d’ailleurs un outil de médiation très intéressant: la médiathèque.
La médiathèqueConcentrons-nous. Replongeons dans nos souvenirs d'enfance. Assumons le premier instant où nous avons été tentés par une petite transgression.
Celle qui nous a poussé un après-midi pluvieux à prendre cette bande dessinée à cause de ses histoires d’amour débridées dans la bibliothèque du grenier de nos grands parents. Celle qui au détour du rayon de la papeterie dans laquelle nous étions habitués à aller, nous a poussés à basculer sa tête pour jeter un œil discret aux inatteignables magazines pour adultes. Celle qui nous a poussé à repasser des dizaines de fois cette scène d’amour à l’eau de rose pour laquelle nous avions une incompréhensible et troublante attirance. Celle qui nous a poussé, curieux, à regarder ensemble la VHS poussiéreuse que notre ami d'enfance a trouvée au dernier étage de sa vidéothèque.
La médiathèque, au sens de la collection de médias, est au centre de toutes ces situations. Cette collection nous laisse toujours une possibilité, si ce n'est une proposition. Celle de consulter librement ce qui réveille en nous ce tout nouveau sentiment, ce qui deviendra plus tard le désir. Celle de consulter librement ce qui originellement aurait pu nous être interdit. Et, enfant intrigué, en se laissant porter par ce doux plaisir de la transgression, que peuvent valoir les classiques de la littérature française face aux couvertures des SAS dans une vieille bibliothèque familiale ? Que vaut un album de photographie de Robert Doisneau face aux clichés de Nobuyoshi Araki ?
C’est parce que nous déambulions seuls face à ces étages d’ouvrages et d’œuvres que nous étions tentés par un transgression. Lorsque nous allions à la bibliothèque municipale, à la librairie ou chez nos grands parents, c'était en solitaire que nous pouvions flâner dans les rayons de médias, et que nous tombions, par un hasard provoqué, sur une œuvre au doux parfum érotique. Nous pouvions parcourir notre découverte à l'abri des regards inquisiteurs. Et ce jour qui a commencé comme les autres devient par hasard marquant et décisif dans l'élaboration de notre univers fantasmatique. L’essence de cette activité est alors d’être solitaire. Notre culture ne nous fait pas supporter le regard trop lourd d’un parent ou d’un buraliste devant notre trouvaille secrète. Indirectement, ils nous disent qu’il nous est autorisé de parcourir toute la médiathèque, mais de ne pas toucher à ce qui nous est interdit, c’est un paradoxe.
Si les médiathèques ont forcément leur lot d'ouvrages et d’œuvres érotiques, c'est parce qu'elles sont le témoignage du bagage culturel de celui qui les possède, et que toute culture humaine, qu'elle soit personnelle ou communautaire, a son lot d’œuvres érotiques ou évoquant la sexualité. Même la culture judéo-chrétienne regorge de pépites érotiques tant elle s'est acharnée à bannir la sexualité. La transverberation de Sainte Thérèse d'Avila en est un des exemples les plus parlant. La bibliothèque d'un parent scientifique aura aussi son rôle à jouer dans la connaissance du système reproductif humain. La vidéothèque d'un parent cinéphile sera forcément riche de films comme l'Empire des sens ou Emmanuelle. La cuisine d'un parent gastronome aura forcément son ouvrage sur le plaisir du goût. Les rayons du buraliste seront toujours munis d'un dernier étage.
Peut-être nous disions-nous qu'étant seuls, jamais nos parents ne seraient au courant de nos divagations érotiques au sein même de leur maison. Mais c'était une erreur. Ils en étaient tout à fait conscients. Conscients qu'en laissant ces ouvrages à portée de notre main dans la bibliothèque familiale, nous pourrions, au détour d'un regard malencontreux, un jour quelconque, nous y plonger. Ils en étaient conscients et mieux encore, ils pouvaient se sentir responsables, responsables du choix de léguer un bagage érotique choisi à leur descendance. C'est pourquoi il nous était plus facile de tomber sur un album de Gainsbourg dans la Cdthèque familiale plutôt que sur un album de Lil Wayne. C'est pourquoi il nous était plus facile de tomber sur le roman Lolita dans la bibliothèque municipale que sur un magazine Marc Dorcel.
La transmission érotique existe alors. Dans une forme indirecte, mais elle existe. Nous aurions été gênés que nos parents nous parlent de sexualité, alors ils ont eu la possibilité d’utiliser la médiathèque comme outil médiateur. Sinon, puisqu’il est aujourd’hui encore tabou, où est-ce que et comment l’érotisme pourrait être transmis ? La transmission articulée à son sujet est très difficile et inexistante, et les institutions attachées aux enfants comme l’école ont eu la volonté de supprimer totalement tout contenu à tendance érotique de leurs fond d’ouvrages, une échappatoire se trouve encore dans nos médiathèques, personnelles, ou communes.
Aujourd'hui, la collection principale que parcourent nos enfants se trouve sur internet. Mais internet pose problème, parce que ce n'est pas une médiathèque comme les autres. Sur internet, ce ne sont pas les parents ni les documentalistes qui nous mettent à disposition des ouvrages choisis. Sur internet, les créations diversifiées sont beaucoup moins accessibles. Sur internet, lorsque l'enfant est mû par une curiosité et un désir de transgression, un grand chemin balisé le mènera droit vers les sites pornographiques. Ce n'est pas un mal en soi. Le problème vient quand la pornographie devient la seule source d'érotisme chez l'adolescent, et que ses codes deviennent la seule fondation existante pour sa sexualité. Internet ne fonctionne pas comme une bibliothèque. Auparavant, avec les bibliothèques, il fallait parcourir pour trouver, au risque de tomber lors de déviations sur des pépites inattendues. Maintenant, avec internet, il faut demander pour avoir.