Présentée de cette façon, l’éducation sexuelle semble être une solution miracle à tous les maux qui hantent les enfants lorsqu’ils abordent les questions sexuelles. En réalité, en la replaçant dans un contexte actuel, elle n’a pas tant de force.
Rappelons-le, la loi Aubry de 2001 nous dit qu’”une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène” 1. Or elle n’est pas du tout respectée. L’éducation sexuelle peine à être mise en place dans ces trois lieux scolaires pour des raisons variées. La première est financière: le manque de moyens et d’outils à disposition des écoles n’incite pas ces institutions à mettre en place les séances3. La seconde est culturelle: les adultes ont du mal à parler de sexualité aux enfants, parce que ce dialogue nous renvoie à notre propre sexualité3. Et la troisième est politique: Parler de façon si libre de sexualité avec les enfants gêne un nombre conséquent d’autorités politiques conservatrices4.
L’intervention en classeLes rares fois où des établissements tentent de mettre en place ce type d'événement, ils est fait appel à des intervenants extérieurs. J’ai pu rencontrer deux d’entre eux, dont Mathilde Mangenot5, employée à la mairie de Courbevoie dans la banlieue parisienne, et Israël Nisand6, gynécologue en chef des hôpitaux universitaires de Strasbourg qui intervient dans les collèges à ses heures perdues. J’ai observé leur méthode en situation et réalisé des entretiens auprès d’eux. Ces deux spécialistes nous montrent que les modèles économiques d’interventions pour l’éducation sexuelle sont très variés. Elles peuvent être rémunérées ou bénévoles. Elles peuvent être proposées par des associations ( c’est ce que nous propose le planning familial ), par des mairies ( c’est le cas de Mathilde Mangenot ), ou être mises en place grâce à des initiatives plus personnelles ( c’est le cas d’Israël Nisand ). Cette variété de modèles nous permet d’ailleurs de voir à quel point rien n’est régularisé, institutionnalisé, lorsqu’il est question d’éducation sexuelle.
La comparaison des méthodes d’Israël Nisand et Mathilde Mangenot est très intéressante et permet de relever les manques et les points les plus importants de ce type d’intervention.
D’abord, les deux s’accordent à dire que le temps que dure leur intervention est absolument insuffisant pour une transmission de qualité à propos de la sexualité. Seules deux heures par an sont accordées à Israël Nisand pour intervenir dans une classe de troisième ou de seconde. Trois heures par an pour Mathilde Mangenot dans une classe de CM2. Israël Nisand observe que c’est pour cette raison que le contenu de leur cours n’est pas varié ni complet, qu’il est seulement magistral, et que les possibilités d’interaction sont très réduites. Selon lui, il serait même idéal de travailler avec un effectif plus réduit, par groupe de 5 à 7, pour qu’un véritable dialogue puisse être envisageable. Au delà du cours “oral”, le seul outil interactif commun aux deux intervenants est une boîte à questions dans laquelle les enfants sont amenés à poser des questions de façon anonyme. Les intervenants peuvent ensuite y répondre face à toute la classe.
La différence importante qu’il faut relever entre ces deux acteurs est celle de l’âge. Ces deux intervenants s’adressent à des enfants d’âges très différents et leur discours n’est par conséquent pas le même. À travers les dires de Mathilde Mangenot, les enfants de CM2 sont plutôt calmes, silencieux, voire timides lorsqu’elle évoque les questions de sexualité. Elle a alors besoin de les accompagner doucement dans son discours en étant toujours prudente avec eux. À l’inverse, l’intervention d’Israël Nisand à laquelle j’ai pu assister était beaucoup plus mouvementée. Les adolescents étaient agités, et ils exprimaient leur malaise quelquefois de façon bruyante. La contre-attaque du professeur était, elle, brillante. Il savait capter leur attention grâce à des “vannes” - comme il les appelle lui même - et à des histoires passionnantes tout en insistant sur la gravité du sujet. C’était un One-man Show. Et lorsqu’un élève l’embêtait trop, il n'a pas hésité à se montrer très sévère, laissant un silence pesant dans la salle, avant d’enchaîner sur d’autres blagues. Israël Nisand le dit lui même: avant le collège, les professeurs des écoles formés peuvent se charger de faire cours d’éducation sexuelle. “Passé 12 ans, il faut passer la main à des intervenants extérieurs, parce que les ados ils regardent qui parle, d’où on parle, et quelles sont les compétences de l’intervenant. Ils estiment que si tu n’es pas docteur ou sage-femme, tu n’as pas les éléments pour répondre”. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’habillement du Professeur Nisand ce jour là était assez austère. Avec ses cheveux en arrière, son costume et sa cravate, il veut faire figure d’autorité pour mieux faire passer le message.