I. Sexualité & tabous
L'infantilisation
De l’invention de l’enfance à l’infantilisation

Pour introduire l’infantilisation, je me permets de prendre un chemin de traverse, en évoquant une théorie développée au milieu du XXe siècle par Philippe Ariès1, qui dit que l’enfance est une invention2. Grâce à son statut d’historien, il nous montre qu’à l’inverse, au Moyen Âge, l’enfance n’existait pas. Le jeune individu était très vite rejeté dans la société des adultes, dans le monde du travail en allant aux champs par exemple ou dans une dynamique sociale adulte.

Par la suite, au XVIIe siècle, Philippe Ariès nous dit que la moralisation de l’église, appuyée par l’état, a amené la famille à se rassembler, et l’enfant à être perçu comme son centre, et donc comme un être à part, différent de l’adulte. Une différenciation commence alors à se mettre en place.

Et enfin, depuis le début du XXe siècle, cette distanciation s’est affirmée à cause de la popularisation et l’obligation de la scolarisation des enfants. Ainsi, ils sont invités à fréquenter un autre espace, une autre réalité que celle de la vie. Philippe Ariès sous entend que c’est la famille, mais surtout l’école qui ont créé l’enfant. Ce sont eux qui ont fait de lui un être à part entière, étranger à l’adulte.

Shulamith Firestone3 nous révèle les conséquences de l’invention de l’enfance, les avantages et les inconvénients4. Elle nous donne dans un premier temps ses points positifs, en nous disant que grâce à elle, les enfants se sont vus acquérir des droits spécifiques, relatifs à la protection des enfants. C’est ainsi qu’ils se sont vus protégés du travail précoce, ou de la pédophilie par exemple avec le principe de majorité sexuelle. C’est également pour cette raison qu’ils ont acquis les droits à l’éducation. Mais de l’autre côté, on nous dit que cette distanciation entre l’enfant et l’adulte mène à traiter l’enfant en dessous de ses capacités de développement. C’est ce en quoi consiste l’infantilisation. On va penser que l’enfant n’est pas capable. Pas capable de comprendre la complexité. Pas capable de comprendre l’abstraction. Pas capable de penser par lui-même. Pas capable d’être indépendant.

Dans sa vision utopique de la pédagogie, Céline Alvarez5, dans l’extrait ne pas empêcher6, pointe du doigt notre tendance à vouloir “empêcher” les enfants de faire ce dont nous les croyons incapables. Elle nous dit qu’il faut au contraire favoriser son “activité spontanée, créatrice et formatrice”. Elle rejoint Shulamith Firestone lorsqu’elle dit que les activités quotidiennes de la société “réelle” ( “faire des choix au quotidien, plier ses vêtements, préparer une salade de fruits”) sont plus formatrices que les apprentissages formatés par les adultes. En effet nous pouvons rapprocher cette volonté de celle de Shulamith Firestone, qui critique notamment la tendance de la part des industriels du jouet à créer des objets trop loins de la réalité, qui norment et ne forment pas autant les fonctions des enfants. Cette dernière et Céline Alvarez tendent à remettre les objets et les outils du quotidien au centre des pratiques pédagogiques pour l’enfant.

L’incapacité à avoir une sexualité

À travers “Le fantasme de l’enfance innocente”7 de Maïa Mazaurette alors, nous comprenons qu’il existe une croyance selon laquelle l’enfant n’est également pas capable d’avoir une sexualité, et par extension, pas capable de comprendre les mots de la sexualité. Cette croyance bloque d’autant plus le dialogue avec les enfants à propos de la sexualité qui est déjà tabou.

Maïa Mazaurette nous dit, que dans notre esprit, l’enfant est “innocent”, il n’est pas coupable du sentiment du désir. Il ne pense pas à la sexualité. Il est pur, la sexualité étant impropre. Or, cette idée est une erreur. L’enfant a une vie sexuelle. Freud, au début du XXe siècle, l’avait déjà mis en évidence8. Ce sont même les premières années de sa vie qui vont être déterminantes lorsqu’il s’agit de sexualité. C’est d’ailleurs à partir de cette observation qu’il va évoquer sa célèbre notion d’enfant “pervers polymorphe”.

Également, la simple observation de l’enfant nous en dit beaucoup. Il pose beaucoup de questions à propos de son corps, il se demande comment il a été fait, il vit des relations amoureuses. De façon encore plus concrète, le commissaire du Salon du dessin érotique, Laurent Quénéhen, nous montre en avril 2016 une série de dessins d’enfants récupérés par un professeur qui nous en montre beaucoup à propos des préoccupations infantiles9.

Dessin érotique enfant

Échantillon des dessins récupérés par Laurent Quénéhen pour le salon du dessin érotique de 2016.

L’enfant a une sexualité et serait alors capable d’en entendre les mots. Dire que les enfants sont apportés par des cigognes, n’en déplaise aux alsaciens, n’est alors rien d’autre qu’une infantilisation. Il faudrait alors veiller au sein de mon projet à ne pas infantiliser les enfants, à les percevoir un peu plus à l’égal des les adultes, et croire que, possédant une sexualité, ils sont potentiellement capables d’en recevoir les mots.

  1. Philippe Ariès est un journaliste, essayiste et historien français, né en 1914, mort en 1984.
  2. ARIÈS Phillippe, L’enfance et la vie familiale sous l’ancien régime, Éditions Points, 1960.
  3. Shulamith Firestone est une féministe canadienne de la fin du XXe siècle.
  4. FIRESTONE Shulamith, Pour l’abolition de l’enfance, Éditions stock, 2002.
  5. Céline Alvarez est une linguiste de formation qui a fait une expérience pédagogique au sein d’une classe maternelle multi-âge à Gennevilliers. Elle se base principalement sur les avancées de la recherche en science cognitives. Elle nous propose des méthodes ou l’enfant est plus libre, plus indépendant dans son apprentissage.
  6. ALVAREZ Céline, Les lois naturelles de l’enfant, Les arènes, 2016, p.291
  7. MAZAURETTE Maïa, Une enfance sans pornographie [en ligne], 06/03/2016, consulté le 23/03/2017.
  8. FREUD Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle, Leipzig-Vienne, Franz Deuticke, 1905.
  9. CHASSAGNON Marine, Au Salon du dessin érotique on trouve... des dessins d’enfants [en ligne], 9 avril 2016, consulté le 23/03/2017.
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