Cette pétition Non au “Zizi sexuel” a été créée par l’association SOS éducation en 2014. Elle se positionne contre certaines pratiques du Zizi sexuel, l'expo1 créée à partir de l’album Le guide du zizi sexuel2, par Zep et Hellen Bruller en 2001, portée par le personnage de Titeuf. L’étude du discours lié à cette controverse récente permet de mettre en évidence la conduite des organisations face au tabou sexuel.
SOS éducation, Non au “Zizi sexuel” ! [en ligne], 2014, consulté le 23/03/2017.
Des apparences admissiblesDans la pétition, il est question de deux demandes principales. La première exige des enseignants qu’ils préviennent les parents lorsque leur classe se rend à l’exposition, pour qu’ils puissent potentiellement s’opposer à ce que leur enfant y participe. Et la seconde vise à s’assurer que les sorties vers cette exposition « ne doivent en aucun cas être prises sur le temps consacré aux apprentissages fondamentaux »3. Dans l’absolu, il n’y a aucun véritable problème à exiger ces demandes. Elles sont issues d’une volonté commune et générale de transparence et de qualité de l’enseignement. Or si nous nous lisons et décryptons avec plus d’attention la pétition, nous nous rendons compte qu’ici n’est pas le réel problème. En effet, il y a plusieurs incohérences.
Une réalité problématiqueDe façon très simple, il y a premièrement le titre donné à la pétition « Non au zizi Sexuel ». Celui-ci nous indique une volonté de supprimer, de censurer, de s’opposer à l’exposition même. Cependant, ceci n’est pas stipulé ni articulé au cœur de la pétition. Nous pouvons soupçonner ici que SOS éducation n’ait pas d’arguments en accord avec les mœurs de l’État contre l’exposition, et plus généralement, contre la mise à disposition d’informations sexuelles aux enfants.
Ensuite, il est intéressant de se questionner à propos du choix des photos de la pétition. Celles-ci mettent en scène des enfants dans l’exposition face à des préservatifs gonflés, et à un personnage dessiné sur un mur avec un ballon de baudruche au niveau du pubis qui se lève lorsque l’enfant actionne une pédale pour faire comprendre l’érection. Avec les mots que j’ai utilisés, ces dispositifs ne posent pas de problème, ils ne sont ici que dans un but éducatif, et c’est d’ailleurs la vision avec laquelle je les ai perçus lorsque j’ai assisté à l’exposition. Or, si nous sommes confrontés à ces photographie pour la première fois sur ce site, le propos reçu peut être tout autre : des pénis sont mis à disposition de vos enfants. Et cette lecture serait totalement inappropriée. Car l’exposition prend justement soin d’utiliser les bon matériaux et les bons dispositifs pour parler de sexualité en toute légèreté, avec du plastique et des couleurs qui font références à l’univers du jeu, en évitant tout réalisme dans la représentation. De plus, les photographies que nous voyons sur ce site ne sont qu’une infime partie de tous les dispositifs de l’exposition. Ces photos visent seulement les ateliers qui sont les plus sensibles.
Au delà des images, le texte est aussi révélateur quant au réel dessein de la pétition. Il y est fait une opposition entre des exigences soit disant universelles et nobles, comme le fait de savoir lire, compter et écrire, et des apprentissages perçus comme sales et malsains, comme celui de la sexualité. Afin de comprendre ce que j’avance, il s’agit d’analyser le vocabulaire utilisé de la phrase suivante : « À l’heure où les savoirs fondamentaux, lire, écrire et compter sont de moins en moins maîtrisés, est-il réellement judicieux de prélever encore une demi-journée sur le temps d’apprentissage des élèves pour aller leur faire humer des effluves de pieds ou d’aisselles, leur faire appuyer sur une pédale permettant de dresser un « zizi piquet » qui éjacule, ou leur enseigner la masturbation ? ». Il y aurait de quoi remplir quelques pages dans l’analyse de cette phrase et de son vocabulaire, mais je me contenterai de l’essentiel, en répétant que tout les moyens, les outils, les dispositifs, l’espace, les matériaux et les couleurs utilisés dans cette exposition sont pensés de façon juste afin de ne pas invoquer l’univers sale et malsain invoqué dans cette phrase, et que l’opposition est injustifiée, car l’éducation sexuelle a toute sa place dans les savoirs fondamentaux. Il y a une réelle volonté de dénigrer les intentions de l’exposition dans cette phrase.
Un tabou inavouéNous pouvons alors penser qu’à travers cette pétition se cache non pas seulement une dénoncer le contenu de l’exposition aux parents, mais aussi une volonté d’attiser le caractère négatif qu’on attribue à la sexualité pour entretenir la distance entre les enfants et la sexualité, et de façon plus générale, pour entretenir le tabou.
Mais alors pourquoi cette association n’est-elle pas claire et directe ? Pourquoi SOS Éducation n’attaque pas directement l’exposition et sa volonté de parler de sexualité aux enfants ? Il nous semble que c’est parce qu’il est difficile aujourd’hui de remettre en cause cette nécessité. Il est de plus en plus reconnu aujourd’hui que l’éducation sexuelle est nécessaire. D’autant plus que depuis 2001, la loi Aubry4 oblige, et donc légitimise, l’éducation à la sexualité en milieu scolaire. Cette loi n’aurait donc pas permis SOS éducation d’attaquer l’exposition au cœur de ses intention, car il est de notoriété publique que l’éducation sexuelle est importante.
Nous pouvons même avancer le fait qu’il est mal vu de dire que nous n’acceptons pas la liberté relationnelle et les sexualités minoritaires. Lorsqu’il existe une polémique autour de productions qui promeuvent les sexualités minoritaires, je pense notamment à la toute récente polémique sur les affiches de prévention contre le sida issues de la campagne sexosafe5, jamais nous n’entendrons dire que les opposants sont contre l’homosexualité, contre l’homoparentalité, contre l’éducation sexuelle, mais on va chercher à attaquer les productions sur d’autres points. À propos de la campagne sexosafe, le principal argument contre sa diffusion était la mise à disposition dans l’espace public d’une image représentant une sexualité épisodique, non-exclusive, à des enfant6. Il s’agit alors discrimination détournée. La réponse de Robert Ménard7 est très intéressante. Il a lui aussi décidé de créer une affiche, nommée “S’aimer, se donner, tout donner”, pour répondre à la campagne Sexosafe. De façon explicite, à travers les mots, c’est la sexualité épisodique contre laquelle on se positionne, en promouvant la fidélité. De façon implicite, à travers l’image, c’est l’homosexualité qu’on condamne.
Santé publique france, Sexosafe.fr [en ligne], consulté le 23/03/2017.
Affiche S’aimer / se donner / tout donner visible à Bézier, revendiquée par Robert Ménard
Dès lors nous pouvons nous demander malgré tout quelle est la raison pour laquelle nous sommes si fidèles à cette distance mise entre la sexualité et les enfants. Un article intéressant de Maïa Mazaurette pour Le Monde nommé Une enfance sans pornographie8, relève une « projection sur nos enfants d’un fantasme très, très contestable – le fantasme de l’enfance innocente. ». Et d’où vient ce fantasme ? Peut-être est-ce dû à notre tendance à l’infantilisation.