Si les œuvres précédentes provoquent la gêne du lecteur, c’est normal. Il ne sera d’ailleurs pas le seul, car la totalité d’entre elles a suscité de près ou de loin le scandale en France, ou dans d’autres pays des sociétés occidentales. Le scandale a dans la plupart du temps amené les autorités à censurer ces œuvres et à restreindre leur publication. C’est le cas par exemple de Je t’aime… moi non plus1. Tree2 a même été détruit quelques heures après avoir été installé.
Le dénominateur commun de ces œuvres, c’est la sexualité. Elles en parlent toutes, souvent de façon directe et frontale. Et c’est précisément ce sujet qui gêne, il est tabou. Nous sommes pris par une petite sensation piquante lorsque nous sommes face à ces créations, comme si elles nous étaient interdites, comme s’il n’était pas convenable de les fréquenter.
Le tabou est un terme difficile à définir, il est irraisonné et indistinct. Nous expérimentons les conséquences de ce tabou, c’est à dire un sentiment de gêne face à des sujets tels que la mort, la maladie ou la sexualité, sans en connaître la véritable cause.
L’origine du Tabou
Larousse en ligne, Définitions : Tabou [en ligne], consulté le 23/03/2017
“Tabou n.m, du polynésien tabu, sacré: Dans certaines sociétés, caractère d'un objet, d'une personne ou d'un comportement, qui les désigne comme interdits ou dangereux aux membres de la communauté. Interdiction d'employer un mot due à des contraintes sociales, religieuses ou culturelles.” ( Larousse en ligne, Définitions : Tabou [en ligne], consulté le 23/03/2017 )
À partir de cette définition, il est intéressant de se demander qui est l'émetteur de cette interdiction. Lorsqu’il est devant L’origine du Monde3, le spectateur gêné n’est pas confronté à une personne qui se place entre lui et le tableau pour lui dire qu’il est interdit de le regarder. Non. Cette interdiction est plutôt intérieure, morale.
Sigmund Freud, attentif aux questions de la morale et des interdits dans la construction psychologique de l’Homme, a écrit en 1913 l’essai Totem et Tabou4, dans lequel il nous donne une interprétation anthropologique du tabou. Suite à une analyse des sociétés primitives, il nous dit que si le tabou existe, c’est parce qu’il est nécessaire à la survie d’un société. Par exemple, pour maintenir la structure fondamentale de la société des hommes qui semble être la famille, appelée groupe totémique, il fallait interdire l’inceste, le prohiber. Ces tabous s'apparentent alors à des codes législatifs qui régissent une société, comme s’il s’agissait de ses lois fondamentales.
Toujours selon l’inventeur de la psychanalyse, si un tabou est transgressé, une punition mystique est attribuée à son auteur, comme s’il était maudit par une puissance supérieure. Ainsi, les autres membres du groupe totémique l’excommuniaient, car ils pensaient que son acte pouvait être contagieux. On peut retrouver cette qualité mystique du tabou aujourd’hui, puisqu’il est difficile d’articuler sa cause et d’en comprendre la raison. Pourquoi est-ce si difficile pour un certain nombre de personnes de fixer l’Origine du monde alors que cet élément du corps est présent sur la moitié de la population humaine ? Et surtout qui nous en interdit l’accès ? Ça reste un mystère.
Ce qui est également un mystère, c’est le glissement du tabou auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Si nous partons du principe selon lequel les tabous sont des interdits qui visent à assurer le maintien des constructions sociales, en quoi alors les représentations de la sexualité et son discours sont tabous ? La sexualité, pouvons nous vraiment l’associer à la mort et à la maladie lorsqu’il est question de survie à proprement parler ?
L’histoire du Tabou
BRENOT Philippe & CORYN Laetitia, Sex Story, imprimé à Tournai en Belgique, Édition des Arènes, Paris 2016.
Une caractéristique rend les contours du tabou encore plus indistincts, c’est son histoire. Jamais au cours du temps il n’a eu la même forme ni les mêmes objets. La récente bande-dessinée Sex Story5, de Philippe Brenot & Laetitia Coryn, nous le montre. Dans l’antiquité par exemple, la pédérastie autorisait les relations sexuelles entre deux hommes dont l’un était très souvent mineur, alors qu’aujourd’hui, la pédophilie est taboue et condamnée. Également, pendant presque toute l’histoire de la société occidentale l’homosexualité était prohibée et punie, alors qu’elle a été dépénalisée notamment en France en 1982. Et enfin l’acte sexuel à fin non-reproductive, qui a été inenvisageable selon l’idéologie judéo-chrétienne, notamment lorsque celles-ci dirigeaient les sociétés occidentales, est aujourd’hui reconnue depuis la révolution sexuelle du début des années 70, notamment grâce au symbole que représente la légalisation de l’IVG en France.
En aparté, ces exemples permettent d’assimiler deux notions. Il nous semble en effet judicieux de comprendre la démarche de censure comme une manifestation concrète de l’immatériel tabou. Si une société censure une pratique ou une représentation de la sexualité, c’est parce qu’elle la considère comme interdite et néfaste pour elle-même, d’où notre rapprochement au tabou.
Deborah de Robertis lors de sa performance devant l’Origine du monde de Gustave Courbet
Partant de ce principe nous remarquons qu’aujourd’hui, le tabou est toujours présent dans l’actualité. D’un côté, il existe toujours vis à vis des représentations de la sexualité. Les performances de Deborah De Robertis6, qui se met à nu, littéralement, devant des œuvres de nus féminins classiques ( L’origine du Monde7, Olympia8... ) pour nous rappeler la véritable nature de ces œuvres, a par exemple à chaque fois provoqué un scandale et mené l’artiste devant la justice. De l’autre côté, le tabou existe aussi vis à vis de la liberté sexuelle. Des organisations, souvent politiques, vont être hostiles et vont chercher à arrêter toutes les manifestations de sexualités non-majoritaires. La manif’ pour tous9, une organisation qui s’oppose à la loi autorisant le mariage homosexuel, en est un des exemples les plus marquants. Son action se manifeste dans le refus de la reconnaissance du couple hétérosexuel à l’égal du couple hétérosexuel dans la société.
Le dépassement du tabou
Le dernier exemple évoqué nous rappelle l’aspect politique et engagée de toute démarche qui viserait à conserver le tabou et les interdits traditionnels, ou au contraire à dépasser le tabou et à défendre les libertés sexuelles. C’est pourtant dans cette opposition que je souhaite me positionner. Je souhaite introduire le dialogue avec les enfants autour de la sexualité, pour leur permettre au fil du temps de mieux l'apprivoiser, de mieux la maîtriser, de comprendre et d’accepter les différences, pour se faire une réelle idée de la liberté sexuelle. Je me positionne ainsi contre toutes les démarches visant à freiner la médiation sexuelle, à privilégier l’hétéronormativité et le couple par rapport aux autres modèles, ainsi qu’à ne voir en la sexualité qu’une finalité reproductrice.
Plus précisément, je souhaite m’adresser à des enfants. Le problème prend encore plus d’ampleur. Parler de sexualité en est un. Parler de sexualité avec des enfant peut l’être encore plus. L’étude de la pétition Non au “Zizi sexuel” nous le prouve.