Société Lactel, Publicité télévisuelle “Papa, c’est quoi cette bouteille de lait ?”, 1990
Nous pouvons facilement déduire que c’est le tabou sexuel qui empêche ce père de parler de sexualité avec son enfant, et c’est problématique parce que si nous ne pouvons pas expliquer simplement ce qu’est la reproduction par exemple, comment pouvons nous lui permettre de comprendre la sexualité en général, de découvrir la sienne et d’accepter celle des autres ? Et comment pouvons nous le protéger par la suite des complexes à son propos ?
Heureusement, des outils et des méthodes existent pour transmettre plus facilement, avec soin et respect les choses de la sexualité. Il s’agit de l’éducation sexuelle. Le lien de cause et de conséquence peut ne pas paraître évident, et pourtant, il est tout à fait logique.
L’éducation sexuelle, discipline polymorpheLorsqu’on parle d’éducation sexuelle, plusieurs images peuvent venir en tête. Nous imaginons un professeur enfiler un préservatif à un banane, schématiser au tableau des organes génitaux ou expliquer très brièvement le coït. Or, la “discipline” est beaucoup plus large. Si nous nous reportons à la définition de la sexualité, elle ne désigne pas uniquement l’enseignement de l’acte sexuel, mais aborde également tous les facteurs identitaires, sociaux et sentimentaux qui s’y rapportent de près ou de loin.
Gabrielle Richard, dans son article Éducation à la sexualité ou éducation à l’hétérosexualité?1 met en évidence différentes approches que nous pouvons avoir de la sexualité dans l’éducation. Elle affirme qu’il existe des tendances en fonction des différentes cultures et des différents pays. Par exemple, en amérique du nord, “un modèle traditionnel” va entrer dans la sexualité en promouvant l’abstinence avant le mariage, l’hétérosexualité, en construisant une certaine idée de “norme sexuelle”, et de conformité des genres. “Le modèle préventif”, privilégié par la France, qui va aborder “la sexualité sous l’angle de ses risques inhérents et les manières d’y faire face”. Et enfin, elle nous parle du “modèle libéral”, en exercice dans les pays scandinaves, qui est axé sur la promotion du plaisir et la discussion des différentes orientations sexuelles.
“ On identifie trois courants dominants d’intervention en éducation à la sexualité, qui correspondent à autant de manières d’inclure la sexualité dans le curriculum.
Le modèle traditionnel, préconisé par plusieurs états américains se caractérise par la promotion de l’abstinence avant le mariage, la valorisation de l’union hétérosexuelle et la condamnation de l’homosexualité. Ces programmes accentuent la construction d’un certain type de « normalité sexuelle », encensant les notions de monogamie, de relation sexuelle comme étant uniquement centrée sur la pénétration, de la conformité des partenaires aux rôles de genre conventionnels.
Le modèle préventif, sur lequel s’axe notamment le programme scolaire français, aborde la sexualité sous l’angle de ses risques inhérents (infections transmissibles sexuellement, grossesse à l’adolescence, violence dans les relations amoureuses, etc.) et des manières d’y faire face (principalement la contraception).
Quant au modèle libéral, en vigueur dans les pays scandinaves, il est axé sur la promotion du plaisir et la discussion des différentes orientations sexuelles.
L’Unesco a publié en 2010 des Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité, mais suggère qu’une approche uniforme des contenus liés à la sexualité n’est ni possible, ni souhaitable. L’efficacité des initiatives d’éducation sexuelle dépend ainsi des influences culturelles spécifiques à chaque région. “2
Mais il s’agit de prendre l’éducation sexuelle dans sa définition plus large. Il ne faut pas la considérer seulement comme une instruction qui ne se fait qu’en classe avec un intervenant, mais également, comme tout autre apprentissage, d’une chose qui s’apprend tout au long de la vie, grâce aux discussions avec ses camarades, avec ses parents, avec des adultes, grâce à des jeux spécialisés, grâce à toutes les créations artistiques auxquelles nous sommes confrontés jour après jour. C’est pour cette raison qu’il est peut-être préférable de parler de “médiation sexuelle”.
L’éducation sexuelle contre les représentations sexuelles populairesMINAJ Nicky, Anaconda [en ligne], Young Money/Cash Money Records, mis en ligne le 19 août 2014, consulté le 23/03/2017.
Nous pouvons également assister à un glissement de l’intérêt de l’éducation sexuelle dans le contexte actuel. L’éducation sexuelle ne sert non plus à apprendre la sexualité, mais à désapprendre tout ce qu’on croit savoir sur elle. C’est le professeur Nisand3, lors de son intervention à propos de la sexualité dans une classe de troisièmes au collège du parc à Illkirch, qui m’en a fait prendre conscience. Le professeur Nisand affirme que montrer grâce à des outils schématiques le fonctionnement du corps et leurs organes génitaux, comme il le faisait lors de ses premières interventions, était, dans le temps réduit qu’il lui était imparti, une “erreur”. Le principal est aujourd’hui en effet de réagir aux croyances auxquelles sont conditionnés les futurs adultes.
Cette démarche s’explique par phénomènes de libération des mœurs dans les médias depuis la libération sexuelle. En effet, nous sommes de plus en plus amenés à voir dans les œuvres de la culture populaire, au cinéma, à la télévision, dans la musique, dans la publicité, ou sur internet, des représentations plus ou moins explicites de la sexualité. Nous ne pouvons pas passer à côté du récent succès populaire du livre et du film 50 nuances de grey4, ou encore du clip Anaconda5 de Nicky Minaj, vu 664 millions de fois sur youtube en mars 2017. Les œuvres qui représentent la sexualité ne sont plus destinés à une niche, mais concernent maintenant le très grand public, et dans la foulée, les enfants.
JAMES E.L, trilogie 50 Nuances de Grey, New York, Vintage books, 2012
Ce n’est pas une mauvaise chose, car cette libéralisation des mœurs dans la culture permet de parler de sexualité avec plus de facilité, et contribue ainsi à définir l’objectif que je me donne dans mon projet. Or, le problème se situe maintenant ailleurs. C’est celui des valeurs et de l’uniformité des valeurs qui sont transmises à travers ces œuvres. Puisqu’elles sont toutes soumises à la terrible loi de la rentabilité, ces œuvres qui proposent des représentations de la sexualité au grand public utilisent des codes “fonctionnels” issus de domaines culturels distincts. Par exemple, l’œuvre 50 nuances de grey ré-exploite le schéma classique de l’histoire d’amour hétérosexuelle, destinée, mystique, et uniforme tout en alimentant une image sombre, taboue et vicieuse de la sexualité. Ce schéma correspond à l’idéal amoureux chrétien. Le clip Anaconda, lui exploite les codes érotiques de la pornographie et ses valeurs de perfection, de performance, et d’exhibition. Si nous sommes très attentifs et que nous arrivons à apercevoir dans ce clip un bout de tissu entre les fesses de la chanteuse, ne nous méprenons pas, c’est simplement qu’elle aura voulu échapper à la censure.
Il serait intéressant d’analyser et de catégoriser tous les différents types de représentation de la sexualité dans la culture populaire, mais les deux exemples précédents suffisent à observer qu’il existe un manque aux côtés de ces représentations. Elles ne proposent pas de variété des corps, de variétés d’âges, de variété de types de relations, et surtout, elle ne proposent pas de représentations positives et lumineuses de la sexualité.
C’est justement ce à quoi peut servir l’éducation sexuelle aujourd’hui. Il faut proposer une nouvelle vision de la sexualité, un nouveau langage autour d’elle. Un langage qui ne soit pas trop froid ou stigmatisant, comme peuvent l’être les cours de SVT ou les démarches préventives pour la contraception, ni trop chaud et trop performatif, comme peut le proposer la pornographie, qui devient de plus en plus accessible avec la popularisation d’internet. Non, l’éducation sexuelle n’a pas vocation à proposer un langage “tiède”. Mais utilisons plutôt les mot “tempéré”, “soigneux” ou encore “positif”.